Analyse critique des diffrentes circulaires et recommandations qui concernent les psychotropes

ANALYSE CRITIQUE DES DIFFÉRENTES CIRCULAIRES ET
RECOMMANDATIONS QUI CONCERNENT LES PSYCHOTROPES


Sousse le 26/1/03
Les psychotropes constituent une préoccupation récente des pouvoirs publics
qui essayent d’en limiter l’usage abusif. Pourquoi cette préoccupation
soudaine alors que jusque là et pendant des années on a prescrit sans
restriction aucune, ces médicaments incriminés ? quels sont les effets
pervers de ces restrictions ?
C'est les questions qu'on va essayer de débattre aujourd'hui pour sortir, je
l'espère, avec des recommandations qui permettront de répondre au
problème par de vraies réponses.
Un peu d'histoire:
Il semble que l'année 1998 soit une année où une campagne anti drogues
illicites ait été menée tambour battant pour des raisons qu'il serait difficile
d'expliciter dans une réunion comme celle d'aujourd'hui.
Participant à cette campagne le ministère de la santé publique ainsi que la
DPM organisent une journée de réflexion sur les psychotropes ( jugés
pouvant faire partie des drogues illicites), le 23 Mars 1998. Des
recommandations ont été faites pour en limiter l'usage . A la suite de cette
journée , le ministre de la santé publique communique une première
circulaire le 6 Novembre 1998 intitulée les modalités de prescription ,
distribution et dispensation de certains médicaments (notamment les
psychotropes) , elle a été adressée aux pharmaciens, aux hospitaliers, sans
tenir compte de l'avis des médecins libéraux qui n'ont jamais été associés à
ce genre de débats, il faut dire que l'ATPEP n'existait pas à cette époque,
mais la STP et STML existaient et j'étais au bureau exécutif du STML.
Ayant eu en main ces recommandations et cette circulaire , j'organise en
temps que secrétaire général du STML chargé de la FMC une rencontre débat
que j'ai intitulé à l'époque : "du bon usage des psychotropes" le 5 Juin 1999.
Cette rencontre a suscité l'intérêt des médias, mais malheureusement pas
de la profession , seulement quelques rares psychiatres ont été présents,
quelques rares pharmaciens avec le secrétaire général de leur syndicat , et
surtout les représentants de la DPM et du bureau national des stupéfiants.
On a été tous scandalisé (Mme Douki en tête) par la manière dont l'administration voulait traiter ce problème. Mme Douki ayant été citée à plusieurs reprises avec d'autres chefs de service à Razi , comme ayant participé aux débats et à la concertation à propos de cette question , ce qu'elle a nié par la suite. Il n'est donc pas étonnant qu' à la suite de cet après-midi là où les débats ont été houleux, qu'une nouvelle circulaire ait vu le jour. Cette seconde circulaire datée du 13 Décembre 1999 est intitulée exactement de la même manière sauf que le mot "psychotropes" a été soit enlevé soit remplacé par "médicaments faisant l'objet d'abus" (cette circulaire annule et remplace la circulaire précédente du 6 Novembre 1998). Dans ces deux circulaires seuls deux médicaments sont cités explicitement, ce sont le Trihexyphénidyle (Artane, Parkisol ) et le Clonazépam (Rivotril) qu'il ne fallait pas associer. Mais entre les deux circulaires le mal a été fait, le climat de suspicion qui entourait le malade mental s'est aggravé, cette suspicion n'est plus dans le regard des autres , elle est devenue explicite et elle est rentrée dans les faits , le malade a commencé à en faire les frais. Ces circulaires et recommandations élaborés pour contribuer à la protection de la santé des citoyens et lutter contre l'usage abusif de certains produits, semblent assez ambiguës et inapplicables pour certains de ses articles car on ne sait pas si elles s'adressent au médecin libéral ou à l'hospitalier ou aux deux en même temps . On demande par exemple de tenir à jour, obligatoirement , des dossiers ou un fichier de malades dans les cabinets médicaux !! Et en même temps de mentionner systématiquement le numéro de la carte d'identité nationale du patient sur son dossier médical !! Ainsi que sur l'ordonnance !!. Ces mesures qui peuvent être appliqués à la rigueur par les médecins hospitaliers et qui peuvent être vérifiés par le ministère quand il s'agit de dossiers de malades qui consultent dans les hôpitaux , sont impossibles de l'être dans un cabinet médical où le médecin libéral est tenu par le secret professionnel et ne peut absolument pas communiquer le dossier de son malade. Je ne vois pas comment on peut exiger d'un médecin libéral de demander à son patient sa CIN pour qu'il puisse inscrire son numéro sur son dossier et sur l'ordonnance quel que soit le médicament prescris et comment on peut contrôler cela sans entamer sa relation avec lui, alors que comme vous le savez tous on travaille beaucoup avec la relation. Par contre elles s'adressent de façon explicite aux pharmaciens qu'ils soient hospitaliers, d'officines ou grossistes répartiteurs. Ces circulaires préconisent de respecter les textes en vigueur , notamment la loi N° 69/54 du 26/07/69, portant réglementation des substances vénéneuses et la circulaire N° 150/96 du 31/12/96, instituant les ordonnances colorées dans les structures hospitalières. Elles incitent le médecin à : 1. Bien rédiger l'ordonnance qui doit être lisible et qui doit comporter entre autres , la date, le nom et le prénom du malade ainsi que le numéro de la CIN du malade , le cachet du médecin et sa signature 2. Etre bien formé en matière de bonnes pratiques de prescription de 3. Bannir les prescriptions répétées (chevauchement) ou excessives (posologie) ou celles couvrant une longue période de traitement sans léser les vrais malades 4. Ne pas prescrire un traitement dépassant le mois à l'occasion d'une 5. Proscrire les reconductions automatiques de traitements sans 6. Eduquer et sensibiliser les membres de la famille du malade aux éventuels détournements des psychotropes prescris 1. Respecter les textes réglementaires en vigueur 2. Pour les pharmaciens grossistes répartiteurs doivent communiquer systématiquement les achats et ventes trimestriels de psychotropes 3. Exiger la CIN du malade et éventuellement de la personne tierce chargée de se procurer le traitement et transcrire sur l'ordonnancier , à l'encre verte ,son numéro ainsi que les prescriptions des médicaments ci-dessus visés 4. Signer lui-même les bons de commandes des produits mis sous 5. Exposer dans la salle de vente de l'officine, à l'intention du public , une affiche en langue Arabe fournie par le Ministère de la Santé , mettant en exergue les règles de dispensation des médicaments visés. Le pharmacien se transforme ainsi et en quelque sorte d'un auxiliaire de justice. 1. Adapter le cadre légal pour inclure dans la réglementation des substances vénéneuses le terme "psychotropes" et instaurer l'ordonnancier dans les pharmacies hospitalières 2. Étendre l'application de la circulaire N° 150/96 du 31/12/96 (instituant les ordonnances colorées ) au secteur privé. Pour le patient il est malmené le pauvre, il doit subir sans tenir compte ni de sa pathologie, ni de sa susceptibilité, ni de sa dignité, ni de ses droits en tant que citoyen, on le juge d'emblée comme suspect. Et le Ministre de conclure :"j'attache de l'importance à l'application stricte de la présente, faute de quoi, des mesures disciplinaires seront prises à l'encontre des contrevenants, sans préjudice des poursuites judiciaires, conformément aux textes législatifs et réglementaires en vigueur. Avec ce climat de menaces et de suspicions suscités par ces recommandations et circulaires, le médecin installé dans le privé et le pharmacien d'officine se retrouvent confrontés à plusieurs problèmes. Pour les médecins libéraux et surtout pour les psychiatres il n'y a plus de liberté de prescription, notre responsabilité vis à vis de ce qu'on prescrit nous a été confisquée, c'est les autres qui décident à notre place. En plus du fait qu' on doit faire le tri de nos malades (délit de faciès), un climat de peur et de suspicion s'installe dans nos salles d'attente. Pour le pharmacien c'est encore pire , le même climat de terreur s'est installé dans les officines, puisque le pharmacien d'officine s'est retrouvé entre le marteau et l'enclume: entre les patients qui veulent qu'on honore leurs ordonnances et les exigences sécuritaires imposées par les pouvoirs publics. Je n'aborderai pas tous les problèmes posés par certains pharmaciens d'officine qui non seulement commentent les ordonnances et angoissent les malades , sont encouragés par ce climat pour stigmatiser encore plus le malade. Je ne citerai pas l'exemple du mari dont la femme se traite par un antidépresseur et antiépileptique et qui est allé demander au pharmacien : c'est quoi ce médicament ? et le pharmacien de lui répondre c'est un médicament pour les fous. Il faut dire que pour les pharmaciens tous les médicaments qui concernent la neuropsychiatrie sont des médicaments pour les fous. Pour nos patients c'est donc la catastrophe: ils sont non seulement stigmatisés par la maladie mentale, mais encore plus par les médicaments qu'on lui a prescris. J'ai des malades qui ont mis des années à passer et repasser devant la plaque du psychiatre hésitant à faire le pas. Le jour où ils se décident à venir consulter, car ils n'en pouvaient plus, le psychiatre développe tout son art pour le mettre en confiance, lui expliquer la situation et le persuade de la nécessité de prendre des médicaments. Il suffit qu'il aille à la pharmacie et qu'on lui demande de présenter sa carte d'identité, qu'on lui marque son nom sur un ordonnancier à l'encre verte et/ou que le pharmacien lui fasse une remarque péjorative sur ces médicaments pour que le travail de tant d'années tombe à l'eau. Pourtant autant de tapages pour deux ou trois produits du tableau A et qu'il est tout à fait aisé de remplacer (le Trihexyphénidyle par d'autres produits dont l'un existe dans la nomenclature hospitalière tel que le Tropatépine ou Lepticur, ou bien par le bipérindène ou Akineton) ces deux derniers produits existaient bien en Tunisie il y a des années et on se demande pourquoi ils ne sont plus commercialisés. Je citerai aussi le problème posé par la Ritaline qui est classée parmi les stupéfiants en France, donc au tableau B en Tunisie. En France la durée de prescription est de 28 jours et une première prescription doit se faire à l'hôpital (car le malade doit être hospitalisé les premiers jours) , à sa sortie de l'hôpital ces trois spécialistes : psychiatre, pédiatre et neurologue installés en ville , peuvent prendre le relais et reconduire cette prescription pendant une année, en Tunisie on est plus royalistes que le roi, la prescription doit se faire seulement par les psychiatres sur un carnet à souches pendant seulement sept jours. Alors que tout le monde sait maintenant l'innocuité de ce produit et ses bienfaits. On reste toujours dans cette problématique d'infantilisation et de déresponsabilisation du médecin. Notre pratique est en danger, nos patients sont mis à l'index, il faut réagir. Je fais pour cela ces quelques recommandations: Il faut tout d'abord combattre ce genre de circulaires, dissipé les malentendus par des rencontres régulières avec les pouvoirs publics (DPM et bureau des stupéfiants) o Il faut aussi responsabiliser le médecin pour toutes ses prescriptions qui doivent être explicites, claires, sans ambiguïté, et s'il y a abus , c'est à lui et à lui seul qu'on doit demander des comptes. Il faut savoir énoncer des idées claires dans les médias par une meilleure préparation et de l'évaluation de l'impact sur le public (je me souviens encore d'une émission télévisée diffusée à une heure de grande écoute où un professeur agrégé de psychiatrie à Razi parlait de façon péjorative des médicaments et de leurs effets secondaires, il parlait des BDZ) tout un travail de persuasion des malades de l'avancée phénoménale qu'on a eu avec les médicaments a été sapé par une petite phrase, car le citoyen ne fait pas malheureusement la distinction entre les différents psychotropes, certains pharmaciens ou leurs aides encore moins. o Il faut aider le malade mental à se soigner à faire confiance à son médecin et ne pas l'enfoncer encore plus, o Il faut que des contacts soient établis et des rencontres organisées entre les psychiatres et les pharmaciens d'officine pour discuter et dissiper tous ces malentendus et élaborer une ligne de conduite vis à vis des psychotropes et des malades, Je propose pour cela de nous constituer en personne morale et qu'une réflexion commune (dans le cadre d'un comité Ad Hoc composé par la STP , l'ATPEP et le STML ) soit élaborée pour infléchir cette tendance et proposer des solutions raisonnables. Je vous remercie pour votre attention. Dr Ben Cheikh Yassine Psychiatre 35 Rue Jamel Abdennasser Tunis Tel: 71 321 839, Fax: 71 323 021

Source: http://stml-tunisie.org/stmlp/media/recomm_psychotropes.pdf

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