LES RAISONS STRATEGIQUES ET ECONOMIQUES DU RECOURS A LA MAIN D’ŒUVRE ETRANGERE DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET L’INDUSTRIE Baret Christophe Ventolini Séverine Abouaissa Siham
Auteur contact : Christophe Baret, courriel : [email protected]Résumé
Cette communication traite, d’une part, des raisons qui conduisent les entreprises françaises à recruter des travailleurs étrangers hors CEE, et d’autre part, des modalités de recours à cette main d’oeuvre. Sont concernés ici les travailleurs qui entrent sur le territoire suite à une demande d’un acteur économique et non pas les étrangers entrés pour un autre motif. Deux propositions d’explication (stratégique, économique) relatives à ces raisons sont comparées au moyen d’une recherche qualitative réalisée en 2006 auprès de 18 dirigeants d’entreprises et représentants d’organisations patronales et d’intermédiaires du marché du travail. Les résultats présentés abordent les questions des raisons du recours à la main d’œuvre étrangère, des modalités de recrutement, des conditions d’emploi et de la satisfaction des entreprises vis-à-vis de l’utilisation de salariés étrangers. Ces résultats montrent que les deux propositions sont pertinentes. La première proposition relative aux motifs stratégiques du recours à la main d'œuvre étrangère est retenue car dans ces secteurs à haut niveau de qualification que sont l’éducation-recherche et l’industrie, les organisations ont le plus souvent recours à la main d’œuvre étrangère pour accéder à des compétences non disponibles localement. La proposition économique de la segmentation du marché du travail est également retenue, celle du remplacement ne l’est pas, du moins pas directement. Nous n’avons pas constaté de recours à la main d’œuvre étrangère (en situation régulière) permettant de réduire le coût du travail. En effet, les travailleurs étrangers bénéficient des mêmes droits que les salariés français, de plus l’introduction de cette main d’œuvre est coûteuse pour les organisations. Le recours à la main d’œuvre étrangère permet néanmoins à certaines entreprises d’éviter de se lancer dans des coûteuses revalorisations des salaires et amélioration des conditions de travail. Ce phénomène de dévalorisation de l’image sociale des emplois ne concerne pas que les métiers manuels et les bas niveaux de qualification, mais aussi les métiers très qualifiés de chercheurs.
Mots clés : main d’œuvre étrangère, recrutement, avis des entreprises
Alors que le débat politique sur les orientations de la politique d’immigration de France prend de l’ampleur avec notamment la constitution récente d’un Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, les chercheurs en sciences de gestion ne disposent que de peu d’informations sur les besoins des entreprises françaises en main d’œuvre étrangère. Le passage, au moins partiel, d’une immigration subie à une immigration voulue suppose que les entreprises manifestent effectivement des besoins de recrutement qui ne peuvent pas être satisfaits sur les marchés du travail national ou européen. En se basant sur deux approches théoriques différentes l’une considérant la main d’œuvre étrangère en fonction de son coût, l’autre en fonction des compétences rares qu’elle apporte, nous allons essayer de mieux comprendre d’une part les raisons du recours à cette main d’œuvre par les entreprises françaises, et, d’autre part, les modalités de son recrutement.
Si le nombre d’immigrés augmente régulièrement en France, la part des étrangers dans la population en âge de travailler (15-64 ans) reste limitée à 5.6%, dont 2% de ressortissants de pays de la Communauté Européenne, ce qui est nettement en deçà de la moyenne européenne qui s’élève à 7,6% de travailleurs étrangers (Source : Eurostat 2005). L’immigration totale annuelle dépasse les 160000 entrées. Il existe cependant plusieurs formes d’immigration que l’on peut distinguer selon les droits auxquels elles donnent accès, selon les démarches administratives qu’elles nécessitent ou encore selon les motifs d’entrée sur le territoire. On distingue ainsi :
- l’immigration de travail, c’est à dire résultant de la demande d’un acteur économique.
Elle est limitée, (avec seulement 11400 entrées en 2005, soit 7%) comparée à l’immigration totale annuelle qui dépasse les 160000 entrées.
- l’immigration pour motifs familiaux (regroupement familial, conjoints et parents de
français) qui représentait 81200 entrées,
- les titres de séjour délivrés à des étudiants étrangers, plus de 40000 entrées (source :
Premier Ministre, Rapport au parlement, « Les orientations de la politique de l’immigration », février 2006, page 40).
Si, la plupart de ces immigrants ont le droit de travailler, dans cette communication, nous allons principalement nous intéresser à l’immigration de travail, certes marginale en volume, mais qui est la mieux à même de refléter les besoins des entreprises françaises en main d’œuvre étrangère.
Nous considérons donc les travailleurs étrangers, hors Communauté Européenne, qui doivent avoir recours à une autorisation de travail, c’est à dire ceux qui relèvent de l’immigration à caractère temporaire ainsi que les travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de service internationale, à l’exclusion de l’immigration saisonnière. Concernant l’immigration à caractère temporaire, les détenteurs d’une autorisation provisoire de travail (salariés pour une courte période, scientifiques, stagiaires, artistes, auteurs, étudiants) sont en augmentation depuis 2001. Selon les données de l’Office des Migrations Internationales (2001), cette immigration provient principalement d’Afrique (43,6% des entrées) et est fortement qualifiée ; elle occupe des emplois de cadres ou d’ingénieur (63%) (Migration Etudes, 2004).
Les travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de service internationale ne relèvent pas tous de la même législation. En effet, les nouveaux entrants en 2004 de l’Union Européenne ne sont plus soumis à une autorisation préalable de travail dans le cadre d’une prestation de service internationale, or c’est avec ces pays que traitent la majorité des entreprises françaises (DPM, 2005). Les autres pays tiers restent soumis à une demande d’autorisation de travail.
L’appel à la main d’œuvre étrangère de la part des entreprises françaises peut recouvrir plusieurs formes : mobilité intra-groupe, recrutement direct, détachement de salariés, sous-traitance, etc. Depuis très longtemps, cet appel à la main d’œuvre étrangère existe, en particulier comme complément de la main d’œuvre autochtone (C.E.S., 2003). Dans un contexte de concurrence internationale accrue, le recours la main d’œuvre étrangère peut constituer pour les entreprises françaises un moyen d’accroissement de leur compétitivité. L’étude parue en 2004 dans la revue « Migration Etudes », intitulée « Le recrutement des salariés qualifiés ressortissants de pays tiers par les entreprises » met en évidence deux principaux motifs pour le recrutement de main d’œuvre étrangère. Il y a d’une part le motif stratégique, les entreprises accompagnent ainsi leur internationalisation en développant le caractère international de leur main d’œuvre; et d’autre part, le motif économique, pour réduire le coût du travail ou faire face à une pénurie de main d’œuvre locale. L’objectif de cette communication est de montrer que ces deux approches ne sont pas en opposition mais qu’elles apportent toutes deux un éclairage sur les situations que vivent les entreprises qui ont recours à la main d’œuvre étrangère.
Après avoir exposé les deux approches des raisons du recours à la main d’œuvre étrangère et la méthodologie de notre recherche, nous présenterons les résultats de notre étude autour des trois thèmes suivants : les raisons du recours à la main d’œuvre étrangère par les entreprises françaises, leur modalité de recrutement et les conditions d’emploi de cette main d’œuvre. Enfin, nous entamons une discussion pour tenter d’interpréter ces résultats à la lumière des deux approches théoriques retenues.
1. La main d’œuvre étrangère : compétences rares ou bas salaires ?
Le recours par les entreprises françaises à la main d’œuvre étrangère peut être appréhendé selon deux approches. Ces deux approches sont basées sur des logiques différentes plus qu’opposées à savoir d’un côté la recherche d’un avantage compétitif basé sur les compétences, et d’un autre, un avantage basé sur des coûts.
1.1. Des compétences stratégiques non disponibles localement
L’approche de l’entreprise basée sur les ressources a renouvelé le champs de l’analyse stratégique traditionnelle en insistant sur le fait que l’avantage concurrentiel d’une firme ne dépendait pas seulement de son positionnement produits/marchés, mais aussi de sa capacité à détenir et à développer des ressources rares et non substituables (Barney, 1991, Durand,
1 Conditions d’emploi des salariés ressortissants des pays tiers travaillant en France dans le cadre d’une prestation de service internationale (Doriès), Synthèse, DPM, janvier 2005. 2 Conseil Economique et Social (Gevrey M.), Les défis de l’immigration future, Direction des Journaux officiels, 2003.
2000). Cette approche se situe dans le prolongement des travaux d’Edith Penrose (1959) qui partaient du constat empirique de l’existence de différences entre les firmes évoluant sur un même marché pour en déduire que la performance de l’organisation vient, en fait, de l’exploitation de ce qui fait sa spécificité. Chaque entreprise doit donc s’efforcer de développer des avantages concurrentiels durables et non imitables sur son marché. Cette théorie économique a été reprise dans les années 1980 en gestion (Wernerfelt, 1984; Barney, 1991) pour s’interroger sur les caractéristiques des ressources qui sont à l’origine de cet avantage concurrentiel. Ces ressources peuvent être technologiques, physiques,… et bien sûr humaines, l’important est qu’elles ne soient pas facilement transférables d’une entreprise à l’autre. Au plan stratégique, l’entreprise doit œuvrer pour assurer son accès aux ressources qu’elle estime cruciales : les « ressources clés » ou pour les développer en interne.
De nombreux travaux se sont attachés à démontrer l’importance du capital humain dans la construction de l’avantage concurrentiel de la firme (Snell et Youndt, 1996; Galunic et Anderson, 2000). En effet, avec le temps, un apprentissage de routines et de compétences spécifiques à la firme se produit, or ce savoir est détenu par les seuls salariés de l’entreprise et dépasse les seules compétences individuelles, ce qui le rend difficilement transférable, même en cas de débauchage de main d’œuvre par un concurrent. Dans cette perspective, un salarié étranger peut être une ressource en soi (maîtrise d’une langue, aptitude inter-culturelle) permettant de construire un avantage concurrentiel (accès à de nouveaux marchés, formation en France de cadres des filiales étrangères), mais il peut aussi n’être qu’un moyen d’accéder à une compétence spécifique, non disponible localement, comme par exemple dans les organismes d’enseignement et de recherche.
Pour prendre en compte cette approche, il convient d’aborder dans le questionnaire différents thèmes comme : la description de l’activité de l’entreprise, les emplois occupés par la main d’œuvre étrangère, les profils recherchés, les modalités d’accès aux candidats.
1.2. Une manière de réduire le coût du travail ?
Comme cela a été mentionné dans un rapport récent (Centre d’analyse stratégique, 2006), deux perspectives s’opposent en économie du travail pour envisager les conséquences de l’immigration de travail sur le chômage des actifs du pays d’accueil. Il y a d’un côté la thèse du remplacement «
selon laquelle les travailleurs immigrés se substitueraient aux
autochtones » (ibid p.74) conduisant ainsi à une baisse des salaires et un chômage accru de ces derniers. Et d’un autre côté la thèse de la segmentation du marché du travail « selon laquelle les immigrés occuperaient des emplois dont les natifs ne veulent pas » (p.75). On peut considérer d’ailleurs que ces deux thèses se rejoignent en partie car, si la législation française ne permet pas d’opérer de discrimination salariale envers les salariés étrangers dès lors qu’ils travaillent sur le sol français, le recours à la main d’œuvre étrangère permet néanmoins de pourvoir des emplois que la main d’œuvre locale n’accepte plus d’occuper sans compensation financière (au-delà des minima conventionnels). Cela permet donc aux entreprises de réaliser des économies en limitant leurs investissements parallèlement à des efforts d'amélioration des conditions de travail (réduction des risques et de la pénibilité du
3 Pour plus de détails, voir M. Dominguez dos santos (2004), « Les conséquences économiques des migrations » Démographie, analyse et synthèse, volume 6, page 137-158, INED.
travail). L’entrée de travailleurs étrangers en situation régulière ne conduit peut être pas à une baisse du coût du travail mais évite une hausse de ce coût.
Pour mieux comprendre quelle réalité reflète cette approche, il convient d’interroger les entreprises sur les conditions d’emploi et de travail des travailleurs étrangers (en comparaison notamment avec les travailleurs français), sur les coûts de recrutement et sur les profils recherchés.
La mise en évidence des approches permettant d’expliquer les raisons du recours à la main d’œuvre étrangère nous a conduit à préciser les différents thèmes qui ont structuré le guide d’entretien. Nous allons maintenant présenter la méthodologie et les résultas de nos investigations qualitatives.
2. Méthodologie
Dans cette recherche, nous nous intéressons exclusivement à l’immigration de travail, à l’exclusion :
- des travailleurs saisonniers (15000 entrées annuelles environ) qui sont employés
principalement dans le secteur agricole pour une durée maximale de 6 mois,
- des travailleurs ressortissants de pays membres de la Communauté Européenne
(Europe des 15) qui ne sont plus tenus de disposer d’un titre de séjour depuis 2004.
Le souhait de la DARES était d’interroger essentiellement des responsables des entreprises actuellement utilisatrices de main d’œuvre étrangère ainsi que de quelques entreprises n’ayant pas recours à ce type de main d’œuvre. Aussi, afin de rechercher une certaine représentativité de notre échantillon d’entreprises, nous avons dans un premier temps identifié les secteurs économiques les plus utilisateurs de cette main d’œuvre. Pour cela, nous avons étudié les données 2001 sur la répartition sectorielle des introductions de travailleurs étrangers (Migrations Etudes, n°120, février 2004, p.2). Ces données font apparaître que le secteur informatique employait à lui seul 24% de la main d’œuvre étrangère mais cela pour des raisons très conjoncturelles qui ont disparues aujourd’hui. Nous avons choisi d’étudier 2 secteurs à niveau de qualification plutôt élevé :
- éducation et recherche, 3% des entrées avec 260 entrées en 2001,
- industrie, 14% des entrées (1260 entrées en 2001).
Pour chacun de ces secteurs, nous avons interrogé un total de 9 personnes:
4 Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. 5 Pour faire face à la pénurie d’informaticiens liée au changement de millénaire, une ordonnance de juillet 1998 a facilité l’introduction d’informaticiens étrangers. Suite à un retournement de tendance, cette ordonnance a été partiellement abrogée en janvier 2004.
- 7 entreprises dont 5 entreprises ayant recours à la main d’œuvre étrangère et 2 qui n’y
ont pas recours. Dans chaque entreprise nous avons interrogé la personne en charge du recrutement de la main d’œuvre étrangère. Pour les entreprises, nous nous sommes efforcés de rendre compte de la diversité des situations en étudiant des grandes entreprises et des PME, des organisations publiques et privées.
- une personne appartenant à la fédération patronale, au niveau local ou national, du
secteur d’activité étudié, afin de mieux cerner les problèmes globaux de ce secteur,
- un intermédiaire du marché du travail (ANPE ou autre) ou un expert du marché du
travail local ou un représentant d’un syndicat de salariés.
Les entreprises ayant recours à la main d’œuvre étrangère ont été identifiées en consultant les fichiers de la DDTEFP de 5 départements de la région Rhône Alpes (Ain, Isère, Rhône, Loire, Savoie). Nous avons contacté des entreprises et organisations publiques qui avaient déposé une demande d’introduction ou de détachement de main d’œuvre étrangère entre 2004 et 2006.
Les entretiens ont duré entre 1h et 1h30. Dans une large majorité ils ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Ils n’ont pas été enregistrés en cas de refus de la personne ou lorsque l’environnement sonore ne le permettait pas. Chaque enquêteur a travaillé avec la grille d’entretien semi-directif unique établie en liaison avec les responsables de la DARES.
3. Les résultats
Par souci de clarté et de concision, nous avons regroupé les résultats présentés ici en 3 rubriques: les raisons du recours à la main d’œuvre étrangère (1.), les modalités de recrutement (2.), les conditions d’emploi et la satisfaction des entreprises vis-à-vis de l’utilisation de salariés étrangers (3.).
3.1. Les raisons du recours à la main d’œuvre étrangère
Les entreprises peuvent recourir à la main d'œuvre étrangère pour deux grandes catégories de raisons
: d’une part les raisons relatives à l’internationalisation des activités et des
organisations, et d’autre part la recherche d’une main d’œuvre avec des caractéristiques spécifiques.
3.1.1. L’internationalisation des activités et des organisations
L'internationalisation est due à des raisons commerciales, liées au développement de nouveaux marchés ou aux délocalisations, ou à des raisons organisationnelles, liées aux structures des organisations multinationales et aux modalités de gestion de leur main d’œuvre.
6 Petites et moyennes entreprises 7 Agence nationale pour l’emploi. 8 Direction départementale de l’emploi, du travail et de la formation professionnelle
Dans l’industrie, les entreprises sont à la recherche de nouveaux marchés à l’étranger. L’implantation dans un nouveau pays impose souvent de devoir former la main d’œuvre locale pendant plusieurs mois ou plusieurs années en France avant de lui confier des responsabilités dans le pays d’origine. Dans cette même logique, on peut citer également le cas des délocalisations engagées par les entreprises françaises pour réduire leurs coûts de production. Dans ce cas les salariés des sous-traitants sont accueillis en France en formation pendant plusieurs semaines avant de repartir dans leur pays. « Il y a des activités, comme beaucoup de sociétés, que X externalise dans des pays où la main d’œuvre est moins chère. (…) Pour pouvoir en fait externaliser ou en tout cas faire faire ces activités dans ces pays, (…) il faut que nous formions ces personnes aux produits, aux technologies, aux services. Et dans ce cas là, ces personnes vont venir sur des périodes de… un mois, deux mois, ou trois mois sur nos sites pour que l’on transfère la connaissance ». (Responsable RH, grande entreprise informatique).
Le secteur éducation-recherche connaît lui aussi plusieurs formes d’internationalisation de son activité. C’est un secteur qui de part sa nature exige l’échange et la collaboration entre spécialistes quelle que soit leur nationalité : « Maintenant, on ne fait pas d’expériences ici parce que les domaines où on travaille nécessitent des appareillages très complexes et importants. Donc on travaille au sein de grandes collaborations internationales. On n’a pas d’expériences ici donc notre métier nous conduit à travailler au niveau international. » (Directeur laboratoire public de physique des particules). Il est donc naturel de voir les organisations dans ce secteur recruter de la main d’œuvre étrangère pour favoriser les échanges. Par ailleurs, les organismes financeurs (comme la Communauté Européenne par exemple) privilégient clairement les consortiums de recherche internationaux et ouverts aux pays émergents dans un souci de transfert d’expériences. La réalisation de projets impose donc souvent une mobilité internationale des chercheurs pour une durée déterminée dans le temps : «Dans notre domaine les financements sont européens à l’heure actuelle et les projets de Bruxelles impliquent aujourd’hui de gros consortiums d’une vingtaine d’équipes. Actuellement, nous sommes dans 5 programmes dirigés par des équipes finlandaises, allemandes, anglaises. On trouve rarement des équipes françaises chefs de file ». (Directeur financier, Laboratoire privé bio technologies).
Le secteur éducation-recherche est aussi marqué par un accroissement de la concurrence internationale pour attirer les étudiants. Rester compétitif pour les écoles d’ingénieurs ou de management nécessite d’acquérir une envergure internationale et de ce fait, un certain pourcentage de personnes étrangères employées. « … le fait d’avoir un pourcentage significatif d’enseignants étrangers, c’est non seulement nécessaire pour les étudiants et c’est aussi nécessaire pour les accréditations internationales pour une école de gestion, vous ne pouvez pas obtenir une accréditation EQUIS si vous n’avez pas un pourcentage du corps enseignant qui est étranger. » (Président d’une association professionnelle de l’enseignement supérieur). Face aux nouvelles exigences des clients (étudiants et entreprises pour les programmes de formation continue), les écoles recrutent de la main d’œuvre étrangère qui leur apporte des publications dans des revues internationales, la maîtrise de nouvelles pédagogies, et une culture internationale : « Le fait qu’on soit entré dans le marché MBA (post-expérience), qui est un marché international, pas national. Un des critères de choix des étudiants c’est le degré d’internationalisation du programme, et une des preuves du degré d’internationalisation, […], qu’il y ait suffisamment d’enseignants de cultures différentes. » (Doyen, Ecole de management)
Le développement de structures multinationales, voire internationales conduit aussi les organisations à avoir recours à la main d’œuvre étrangère. Dans l’éducation-recherche par exemple, certains organismes de recherche sont internationaux par nature (financés et administrés par plusieurs pays) compte tenu des coûts très importants générés par certaines installations (accélérateurs de particules, instruments astronomiques, etc.). Dans ce cas, chaque pays attend que l’organisation emploie ses ressortissants à hauteur de sa participation financière, ce qui génère d’importants flux de scientifiques étrangers : « […] on a un certain nombre de pays qui financent et ces pays voulaient avoir un espèce de retour en terme de personnel embauchés par le laboratoire européen, en terme d'achats d'équipement et en terme aussi d'expérience, … » (Directrice du personnel, Laboratoire européen de physique).
Dans l’industrie, il s’agit de logiques organisationnelles liées au fonctionnement et à la structure internationale de l’entreprise et notamment à sa politique de gestion des ressources humaines (gestion des carrières) qui conduit à la mise en place d’une mobilité internationale des salariés (cadres et experts). « La première c’est ce qu’on appelle la mobilité interne au sein d’X, donc un employé, même si par son contrat de travail il est attaché à un pays, c’est une obligation légale, il est libre de postuler sur d’autres postes à l’intérieur de la société » (Responsable RH, grande entreprise informatique). A cela s’ajoute la nécessité de travailler en équipe sur des projets « il y a une équipe un peu partout et chacun fait un petit bout du projet et après ils viennent mettre en commun. Donc il y a des moments où ils viennent uniquement pour faire l'état de l'avancement des travaux. Il y a d'autres moments où il y a une équipe qui connaît un process, qui connaît un outil de travail et l'autre vient se former auprès de l'équipe de Grenoble et va aller le pratiquer dans son pays. Il y a des moments où on fait tout en commun et on fait des essais en commun. Après c'est un partage d'équipement aussi… », (Responsable RH, grande entreprise micro électronique)et une volonté de créer une culture d’entreprise identique pour tous les salariés du groupe. « C’est quand même malgré tout notre volonté de former des gens, de les envoyer dans leur pays de faire en sorte que notre savoir-faire et notre culture se propage entre guillemets un peu partout », (Responsable RH, grande entreprise de cimenterie).3.1.2. La recherche d’une main d’œuvre aux caractéristiques spécifiques
Les exigences de compétitivité internationale qui pèsent sur les organisations les conduisent pour certains postes clés à rechercher au niveau international les candidats possédant le meilleur profil pour le poste à pourvoir. Il s’agit alors de choisir le meilleur candidat, quelle que soit sa nationalité. Dans le secteur de l’éducation-recherche c’est parfois le cas sur des sujets scientifiques très spécialisés pour lesquels il n’existe que quelques spécialistes dans le monde : « Nous recherchons en priorité le meilleur candidat sur le plan académique, quelque soit sa nationalité. » (Directeur de la recherche, Ecole d’ingénieur) « … Notre objectif n’est pas de recruter des étrangers, d’abord c’est de recruter des bons.» (Doyen, Ecole de management,) « … s’il est français, c’est très bien, s’il est étranger, il faut faire en sorte de l’avoir. […] ce n’est pas un besoin de main d’œuvre étrangère, c’est un besoin de main d’œuvre hautement qualifiée» (Directeur, Société de valorisation de la recherche)
On retrouve une préoccupation de ce type dans la restauration lorsqu’il s’agit de recruter un cuisinier spécialisé sur une cuisine étrangère.
Dans l’ensemble, les entreprises ne prévoient pas de changements notables dans leurs besoins de main d’œuvre étrangère, elles manifestent seulement des craintes vis-à-vis de la nouvelle législation du printemps 2006 sur l’immigration et sur le durcissement des conditions d’introduction de main d’œuvre étrangère et notamment de la famille des salariés.
Une augmentation des pénuries de main d’œuvre pourraient développer le recours à la main d’œuvre étrangère. Cette crainte a été formulée dans le secteur de l’éducation-recherche en raison de la faible orientation des étudiants vers les filières scientifiques en général et vers les métiers de la recherche en particulier (comme en informatique par exemple), les entreprises peuvent se retrouver confrontées d’ici quelques années à des pénuries de main d’œuvre : « Je ne dirais pas pour les masters recherche, par contre c’est clair pour les doctorants. La plupart des établissements français voient que le pourcentage d’étrangers en doctorat est en augmentation croissante. […] donc pour moi effectivement c’est clair, on a de moins en moins d’étudiants français qui continuent en doctorat et par contre un accroissement d’étudiants étrangers, et on a tous d’énormes difficultés à inciter nos propres étudiants à continuer en doctorat. » (Président d’une association professionnelle de l’enseignement supérieur).3.2. Les modalités de recrutement de la main d’œuvre étrangère
L'analyse de la démarche de recrutement comprendra dans un premier temps les canaux de communication utilisés, puis les profils recherchés, et enfin le point de vue des entreprises sur les démarches administratives d’introduction de main d’œuvre étrangère.
3.2.1. Les canaux de communication utilisés
Nous avons constaté que pour leur recrutement de main d’œuvre étrangère, les entreprises ont recours à 4 principaux canaux de communication : les réseaux interpersonnels, qui sont de loin le canal le plus utilisé, puis les agences d’intérim, Internet et les associations professionnelles internationales.
Dans les 2 secteurs étudiés, les entreprises ont recours aux réseaux interpersonnels pour leurs recrutements de main d’œuvre étrangère. Dans les milieux scientifiques ou informatiques, il existe des communautés professionnelles mondiales. Les experts se fréquentent dans les congrès, ils connaissent les bons spécialistes de tel ou tel sujet :« … Parce que toutes ces annonces etc.…. je n’y crois pas trop. In fine, il faut être sur le terrain. Etre sur le terrain, ça veut dire faire les colloques, être dans les coulisses, rencontrer ces personnes, avant même de faire l’annonce, avant même que les gens soient sur le marché du travail. Un an, deux ans avant leur soutenance de thèse, il faut être sur les bons thésards, les suivre… » (Doyen, Ecole
de management). Il en est de même dans l’industrie : « Le semi conducteur c'est un petit monde. Nos ingénieurs ont des collègues. Comme l'entreprise est connue dans le monde entier, soit on a des candidatures spontanées, soit c'est nos collègues qui vont coopter d'autre confrères dans d'autres pays » (Responsable RH, grande entreprise micro électronique).
Les réseaux sociaux permettent de réduire les incertitudes, très fortes à l’international, sur les qualités et aptitudes des candidats. Comme nous l’avons vu, le recrutement d’un salarié étranger est coûteux pour les entreprises, et il est encore moins facile qu’en France de s’informer sur les compétences et motivations réelles des candidats.
Pour les métiers qualifiés de l’industrie et de l’éducation-recherche, Internet est un canal de communication très utilisé. Les organisations mettent leurs offres d’emploi en ligne sur leur propre site ou sur le site des associations professionnelles afin qu’elles soient visibles dans le monde entier. Il semble que l’efficacité réelle de ce canal soit rarement mesurée.
Les entretiens font apparaître que 4 qualités principales sont recherchées lors du recrutement de main d’œuvre étrangère : une compétence professionnelle avérée, la maîtrise d’une langue étrangère, une forte motivation au travail et enfin une ouverture culturelle.
Dans les 2 secteurs considérés, il ressort clairement que lorsqu’on recrute à l’étranger c’est pour bénéficier de salariés immédiatement opérationnels. Compte tenu du coût et de la complexité de ce type de recrutement on recherche des gens formés et expérimentés. Des efforts de formation peuvent être consentis pour la main d’œuvre recrutée sur le territoire national, mais pas (ou très peu) pour les salariés en provenance de l’étranger. L’exception vient des entreprises industrielles qui font venir en France pour formation les salariés de leurs filiales ou de leurs sous-traitants avant qu’ils ne repartent œuvrer dans leur pays d’origine.
La maîtrise d’une langue étrangère est aussi très souvent exigée. Dans les secteurs éducation-recherche et industrie, l’anglais est suffisant : la maîtrise du français n’est pas indispensable car les équipes sont capables de travailler en anglais.
Enfin, pour garantir une intégration dans les équipes et une adaptation aux schémas culturels français, les entreprises recherchent généralement des candidats qui font preuve d’une ouverture culturelle, c’est à dire d’une curiosité pour les autres cultures et d’une tolérance pour les différences. Pour cette raison, sont particulièrement recherchés les candidats qui ont déjà effectué des séjours professionnels ou éducatifs à l’étranger.
3.2.3 Les démarches administratives effectuées lors de l’introduction d’un salarié étranger
Lorsque les entreprises recrutent des salariés étrangers non résidents d'un pays de la Communauté Européenne, elles doivent entreprendre un certain nombre de démarches administratives pour permettre leur entrée et leur séjour sur le territoire français avec leur famille, mais aussi pour assurer la continuité de leurs assurances retraite et maladie.
La plupart des entreprises reconnaissent qu’un contrôle strict des entrées est indispensable. Cependant, elles s’insurgent contre la lenteur et le manque de lisibilité de la procédure. Il s’agit peut être là d’un biais de notre recherche car les entreprises qui ont accepté de nous recevoir étaient peut-être celles qui avaient justement un message à faire passer à l’administration suite à des mauvaises expériences préalables. Pour autant, très peu d’entreprises contactées ont refusé de nous recevoir. A quelques rares exceptions, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, les entreprises ont fait état de jugements très critiques vis-à-vis de l’administration. Elles dénoncent :
- des procédures opaques : les personnes rencontrées dans les entreprises nous sont
apparues peu informées sur les règlements en vigueur. Elles ne savaient pas où consulter l’information. La nouvelle législation du printemps 2006 semble totalement méconnue des entreprises. Elles n’en connaissent que les aspects restrictifs véhiculés par les médias et pensent qu’elle va accroître encore leurs difficultés, notamment pour l’accompagnement par la famille, alors que la finalité du texte est justement de faciliter l’immigration économique. « Aujourd'hui il y a une nouvelle mesure pour les familles accompagnantes qui est quand même restrictive. Donc ça c'est de la folie. Parce que accepter de faire venir un étranger sans sa famille. C'est à dire qu'il pourra mettre en route un dossier de rapprochement familial que 1 an après sa présence en France. On sait que le dossier de rapprochement familial il durera encore 1 an. Ça veut dire que cet étranger va rester 2 ans au minimum sans sa famille. C'est de la folie », (Responsable RH, grande entreprise micro électronique) ;
- des interlocuteurs multiples, peu motivés et peu disponibles : il semblerait que les
dossiers et les informations circulent mal entre la DDTEFP, l’ANPE, la CPAM, etc., Les entreprises se plaignent d’être renvoyées d’une administration à l’autre, sans avancer : « Ca ne parait pas grand-chose mais entre chaque étape, c’est extrêmement long. […] Moi j’ai eu quelques moments d’énervements parce qu’on a en face de soi des gens qui ne sont pas dans la même logique et je dirais qu’en termes de réponse, c’est pas très constructif. La réponse c’est « je ne sais pas » ou « ce n’est pas du ressort de mon service » mais ce n’est pas « allez voir untel », donc c’est à vous de manière itérative d’aller trouver qui… et ça c’est quand même extrêmement pénible. »(Directeur, Société de valorisation de la recherche). Dans certaines DDTE, le service de la main d’œuvre étrangère n’est ouvert que quelques heures par semaine au public, ce qui ne facilite pas les contacts. En ce qui nous concerne, nous avons pu observer de grandes disparités dans l’organisation des services main d’œuvre étrangère d’un département à l’autre. Un point commun toutefois est le manque de moyens mis à la disposition des agents (locaux vétustes, pas d’informatisation, tâches multiples demandées au personnel).
- Un contrôle « tatillon », voire vexatoire de la part de l’inspection du travail qui est mal
ressenti dans des entreprises qui ont déjà l’impression de réaliser des efforts importants pour respecter la législation : « … L’inspecteur du travail a débarqué chez nous d’un coup et a demandé leurs papiers à nos salariés, y compris à notre directeur du développement, qui est de nationalité sénégalaise, qui l’a très mal pris. C’est un cadre dirigeant de notre société. L’inspecteur voit sur le registre du personnel un nom à consonance étrangère et lui a demandé de produire ses papiers de travail. C’est très irrespectueux vis-à-vis d’un dirigeant de société. » (Directeur financier, Laboratoire privé bio technologies).
Même lorsque tout se passe bien, il faut plusieurs mois pour obtenir les documents de la personne, or ces délais ne sont plus du tout en phase avec la rapidité du monde des affaires d’aujourd’hui. Dans les secteurs de l’industrie et de l’éducation-recherche, les contrats et les projets ont des durées limitées et des délais très stricts. Si un étranger doit participer à ces projets, il doit pouvoir venir vite : « … Nous avons besoin de ce chinois tout de suite car les délais du projet courent et il nous faudra au minimum 4 mois pour le faire venir. Nous sommes dans un domaine très concurrentiel […]C’est paradoxal, les pouvoirs publics financent nos projets en nous demandant des coopérations internationales et d’un autre côté ils freinent les mouvements de chercheurs qui sont justement générés par ces projets.» (Directeur financier, Laboratoire privé bio technologies). Plusieurs entreprises ont fait état de candidats étrangers qui ont finalement renoncé à venir en France en raison des délais trop long pour obtenir leurs documents de travail. Par ailleurs, dans ces secteurs à haut niveau de qualification, la procédure d’opposabilité de l’emploi est jugée inadaptée et retarde inutilement l’obtention des documents.
Parmi les entreprises, apparaît très clairement une distinction entre celles qui ont habituellement recours à la main d’œuvre étrangère et qui ont trouvé des ajustements pour accélérer les choses et celles qui n’y ont recours qu’exceptionnellement et qui sont dans un grand désarroi (manque d’information, difficultés à répondre aux demandes de l’administration, etc.).
Les entreprises rencontrées ont exprimé des souhaits par rapport à cette procédure d’introduction :
- que l’administration leur fasse confiance quand au profil des personnes recrutées et
lève l’obstacle de l’opposabilité de l’emploi pour les hauts niveaux de qualification,
- que la procédure soit claire : « C’est vrai qu’on découvre toujours un peu en marchant et donc il y a toujours des questions qui peuvent paraître insignifiantes mais pour nous importantes, du coup on est plus sollicitant, c’est vrai que s’il y avait un petit document ça règlerait au préalable des grande questions et les grandes étapes. On serait déjà en terrain conquis ou connu » (responsable RH, grande entreprise équipement industriel)
- qu’un interlocuteur unique prenne en charge les relations avec les différentes
administrations : « Peut-être que si il y avait un regroupement, un guichet unique. Parce qu'aujourd'hui on a affaire à 3 institutions : la DDTE pour les autorisations de travail, la préfecture pour les cartes de séjour, l'office des migrations internationales quand on a besoin d'un visa longue durée et il y a la DASS quand il y a des familles accompagnantes. Donc avant que ces trois là se coordonnent, il y a des moments où ce n’est pas simple » (Responsable RH, grande entreprise micro électronique)
- que l’administration soit plus réactive : « Pour la faire rentrer…. Ce n’est pas compliqué je crois que le choix du candidat a été fait fin juillet début aout et elle a pu rentrer fin février 2006… donc c’est un peu long ! » (responsable RH, PME, machine outils).
9 Dans le cadre de la procédure d’introduction les services de la DDTEFP interrogent l’ANPE pour savoir si l’emploi ne pourrait être pas occupé par un demandeur d’emploi déjà présent sur le territoire national. L’ANPE peut donc émettre un avis défavorable à l’introduction d’un travailleur étranger.
Les autres soucis rencontrés par les entreprises concernent les retraites et les diplômes. Lors du recrutement d’un salarié étranger d’un certain âge, certaines entreprises se sont retrouvées confrontées à la nécessité de racheter les points retraite accumulés dans un autre pays. Même à l’intérieur de l’Union Européenne, l’absence d’accords entre les organismes de retraite ne facilite pas la mobilité des travailleurs.
L’équivalence des diplômes est aussi complexe. Il est parfois difficile de classer les diplômes étrangers dans les catégories assez rigides des conventions collectives (ingénieurs, cadre, etc.). Cela génère alors des insatisfactions et des tensions avec le personnel français.
3.3. Les conditions d’emploi de la main d’œuvre étrangère et la satisfaction des entreprises vis-à-vis de l’utilisation de salariés étrangers
Selon les déclarations des entreprises qui ont été unanimes sur ce point, les conditions d’emploi des salariés étrangers (en situation régulière) sont rigoureusement identiques à celles des salariés français, voire souvent plus avantageuses. Les étrangers sont soumis aux mêmes horaires de travail et aux mêmes grilles de rémunération, ils bénéficient des mêmes droits (congé, formation, assurances, etc.). En sus, les entreprises proposent des primes et autres suppléments de rémunération pour pouvoir attirer les meilleurs profils internationaux. Elles prennent en charge les frais de transport et d’hébergement. Certaines assistent les familles dans leurs démarches quotidiennes pour faciliter leur intégration : « Ils sont accueillis ici par le service social pour leur donner un peu des repères, ils sont aidés par un organisme de relation à l'extérieur pour les aider à trouver un logement. Et à travers cette recherche de logement, il y a toute une information sur comment ça fonctionne en France les institutions etc. les aides à trouver des écoles, les comptes bancaires etc. mettre un petit peu en place l'essentiel de la vie », (Responsable RH, grande entreprise micro électronique). Ces avantages accordés à la main d’œuvre étrangère sont parfois mal vus par les délégués syndicaux français qui les jugent discriminatoires. Au total, ces mesures contribuent à rendre l’emploi d’un salarié étranger plus coûteux que celui d’un français ou d’un étranger résident : « C’est très coûteux pour les entreprises la venue de main d’œuvre très qualifiée. Les conditions sont les mêmes que pour les nationaux. Ils ont quand même parfois des véhicules de fonction, des logements de fonction, surtout pour les experts, ce qui crée des problèmes de jalousie parfois car ils sont très biens lotis. » (Responsable d’un syndicat patronal de la métallurgie).
En général, les entreprises sont très satisfaites de l’emploi de la main d’œuvre étrangère, elles regrettent seulement son instabilité.
Cette main d’œuvre est réputée apporter des idées nouvelles, d’autres façons de travailler, qui enrichissent les équipes et leur permettent de progresser : « Les étrangers apportent des compétences différentes, un regard différent sur les problèmes. […] Ils permettent de remettre en cause les habitudes de travail et la confrontation des pratiques permet de faire apparaître des procédés plus performants. » (Directeur financier, Laboratoire privé bio technologies).
L’intégration dans les équipes de travail en général se passe bien car les collègues ont conscience que les salariés étrangers leur apportent quelque chose. On admet toutefois que les
indiens et les chinois, en raison d’une plus grande « distance culturelle » ont davantage de mal à s’intégrer.
Le principal regret formulé vis-à-vis de cette main d’œuvre est son instabilité. Les salariés mobiles à l’international sont difficiles à fidéliser. Ils partent dès qu’une meilleure opportunité se présente dans un autre pays (cas des enseignants- chercheurs).
4. Discussion et conclusion
Les propositions que nous avions formulées en introduction quant aux raisons du recours à la main d’œuvre étrangère sont toutes les deux retenues.
La première proposition relative aux motifs stratégiques du recours à la main d'œuvre étrangère est retenue car dans ces secteurs à haut niveau de qualification que sont l’éducation-recherche et l’industrie, les organisations ont le plus souvent recours à la main d’œuvre étrangère pour accéder à des compétences non disponibles localement. Cette compétence peut être linguistique, et notamment une parfaite maîtrise de la langue anglaise pour les enseignants-chercheurs (pour les entreprises industrielles internationales également), inter-culturelle ou technique. Dans le secteur de la recherche, il s’agit de recruter le meilleur candidat au niveau mondial, quelle que soit sa nationalité.
Dans cette perspective stratégique, le recours à la main d’œuvre étrangère peut aussi être opéré pour développer des compétences nouvelles, individuelles ou collectives. Dans l’industrie, certaines entreprises font venir en France des salariés de leurs filiales ou partenaires étrangers pour les former avant de les renvoyer dans leur pays. Dans les grandes entreprises, la mobilité internationale des cadres permet de favoriser un brassage de cultures et de connaissances. On retrouve ce même objectif dans la constitution de concortia internationaux de recherche qui accueillent, à la demande expresse des financeurs, des chercheurs de pays émergeants.
Pour l’avenir, il est probable qu’avec la mondialisation de l’économie, ce motif de recours à la main d’œuvre étrangère va conduire à une augmentation progressive des demandes d’introduction de la part des entreprises. Ce que souhaiteraient les entreprises, ce n’est pas tant un desserrement des critères d’introduction de travailleurs étrangers, car les refus sont rares, mais plutôt une accélération des démarches. Dans un environnement de concurrence internationale, la recherche de candidats et la réalisation de projets imposent aux entreprises d’être très réactives et les délais de plusieurs mois demandés par l’administration pour l’introduction d’un travailleur étranger ne sont plus du tout compatibles avec cette réalité.
La proposition économique de segmentation du marché du travail est également retenue, celle du remplacement ne l’est pas, du moins pas directement. Nous n’avons pas constaté de recours à la main d’œuvre étrangère (en situation régulière) permettant de réduire le coût du travail. En effet, les travailleurs étrangers bénéficient des mêmes droits que les salariés français, de plus l’introduction de main cette main d’œuvre est coûteuse pour les organisations. Le recours à la main d’œuvre étrangère permet néanmoins aux entreprises d’éviter de se lancer dans des coûteuses revalorisations des salaires et amélioration des conditions de travail. Ce phénomène de dévalorisation de l’image sociale des emplois ne concerne pas que les métiers manuels et les bas niveaux de qualification, mais aussi les métiers très qualifiés de chercheurs. Il est apparu que dans plusieurs disciplines (gestion, informatique, chimie, etc.) les étudiants français se détournent des formations doctorales et du métier de chercheur, peu valorisés économiquement. Ces filières se sont largement ouvertes aux étudiants étrangers.
Cette situation n’est pas très nouvelle mais elle pourrait prendre une ampleur renouvelée avec la diminution des cohortes de jeunes rentrant dans l’enseignement supérieur ou sur le marché du travail. Les pouvoirs publics et les entreprises seront confrontés à deux alternatives, soit revaloriser les emplois concernés, soit accepter le recours à la main d’œuvre étrangère et mieux l’organiser, notamment par une identification des profils recherchés pour lesquels la procédure d’introduction serait facilitée.
Les pistes d'amélioration concernant les conditions de recours à la main d'œuvre étrangère en France passent donc par une amélioration de l'image et des conditions de travail qui inciterait les français et les étrangers résidant déjà en France à s'orienter vers des professions aujourd'hui dévalorisées, mais aussi par une plus grande réactivité et une plus grande souplesse de la part des organismes impliqués dans la procédure administrative d'introduction.
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