La protection des droits et libertés fondamentaux est, aujour-
d’hui, considérée comme un standard constitutionnel, voire un inté-rêt commun de l’Humanité (1). Ce souci universel rend impérieusel’intégration des instruments internationaux de protection desdroits de l’homme au sein des ordres juridiques étatiques.
Au niveau européen, la Convention européenne des droits de
l’homme constitue le plus petit dénominateur commun devant êtrerespecté dans toute société démocratique. Toutefois, si tous lesEtats membres du Conseil de l’Europe ont ratifié cette Convention,force est de constater que son application effective, dans certainsEtats, demeure encore hypothétique (2). Cette difficulté, souventliée à la question de l’insertion des traités internationaux dansl’ordre juridique national (3), concerne essentiellement les pays àconception dite dualiste (4). Il en va ainsi du Royaume-Uni, dont lesystème constitutionnel obéit à des règles qui lui sont propres.
(1) A ce propos, se reporter à Th. Van Boven, General Course on Human Rights,
Collected Courses of the Academy of European Law, 1993, Vol. IV-2, pp. 1-106, spec. pp. 37-55 (Standard-setting Processes as Part of the Universal and European Norma-tive Protection System).
(2) Sur l’effectivité de la Convention européenne en droit interne, voy. notam-
ment O. De Schutter, Fonction de juger et droits fondamentaux. Transformation ducontrôle juridictionnel dans les ordres juridiques américain et européens, Bruylant,Bruxelles, 1999, spéc. pp. 269-395.
(3) Sur cette question, voy. H. Kelsen, « La transformation du droit internatio-
nal en droit interne », Revue générale de droit international Public (R.G.D.I.P.), 1936,pp. 5-49 ; H. Fox, P. Gardner, C. Wickremasinghe, « The Reception of EuropeanCommunity law into Domestic law », in P.-M. Eisemann, The integration of Interna-tional and European Community law into the national legal order. A study of the prac-tice in Europe, Kluwer Law International, The Hague, London, Boston, 1996, pp. 27-38.
(4) Pour la distinction entre monisme et dualisme, voy. notamment J. Combacau
et S. Sur, Droit international public , Montchrestien, 3e éd., Paris, 1997, pp. 176-181 ;A. Wasilkowski, « Monism and dualism at present », in Theory of International lawat the Threshold of the 21st Century. Essays in honour of K. Skubiszewski, Kluwer LawInternational, The Hague, London, Boston, 1996, pp. 323-336.
L’ordre juridique britannique est, en fait, caractérisé par l’ab-
sence prima facie de Constitution écrite. Dès lors, les rapports entrele droit international et le droit interne sont régis par des règlesstrictement coutumières (5). La pratique constitutionnelle britanni-que opère, toutefois, une nette distinction entre le droit internatio-nal général (droit international coutumier ou normes impératives) etle droit international conventionnel.
Dans le premier cas (droit international général), la solution rete-
nue est celle de l’adoption automatique des normes impératives dudroit international, exprimée par le célèbre adage de Blackstone :«International Law is a part of the Law of the Land (6).» Quant audroit international conventionnel, la règle générale est qu’un traitéinternational ne peut produire d’effets juridiques au sein de l’ordrejuridique britannique qu’après avoir été incorporé par un acte duParlement (Statute ou Act of Parliament) (7).
Mais bien que le Royaume-Uni eût été le premier pays à ratifier
la Convention européenne des droits de l’homme (le 8 mars 1951),celle-ci n’était pas encore partie intégrante de l’ordre juridique bri-tannique (8), même si au demeurant les juridictions britanniquesprirent souvent en compte ses dispositions ainsi que la jurispru-dence de la Commission et de la Cour européennes des droits de
(5) Les relations entre le droit international et le droit interne ont été examinées,
principalement, par : A. Decencière-Ferrandière, « Considérations sur le droitinternational dans ses rapports avec le droit de l’Etat », R.G.D.I.P. 1933, pp. 45-70 ;H. Kelsen, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit internationalpublic », in Académie de droit international. Recueil des Cours (R.C.A.D.I.), 1926,Vol. IV, pp. 231-326 ; G.A. Walz, « Les rapports du droit international et du droitinterne», R.C.A.D.I., 1937, Vol. III, pp. 377-453.
(6) La portée de cet adage a été précisée par P. De Visscher dans son cours sur :
« Les tendances internationales des constitutions modernes», in R.C.A.D.I., 1952,Vol. I, pp. 515-576, spec. pp. 522-525. Il écrit, en effet, que : « (.), la règle (.) a poureffet d’autoriser le juge interne à considérer comme faisant partie du Common Lawles règles impératives et certaines du droit international commun, alors même queces règles n’auraient fait l’objet d’aucune reconnaissance ou réception formelle de lapart du législateur national. »
(7) « As a general rule, treaties are not part of English law unless they have been
incorporated into domestic law by legislation. », cf. H. Fox, P. Gardner, C. Wickre-masinghe, « United Kingdom », in P.M. Eisemann, The integration of Internationaland European Community law into the national legal order. A study of the practice inEurope, Kluwer Law International, The Hague, London, Boston, 1996, p. 502.
(8) « In the United Kingdom, the Convention is not binding on domestic law
because it has not been given effect in an Act of Parliament. », John F. McEldow-ney, Public Law, Sweet & Maxwell, London, 2nd ed., 1998, p. 253.
l’homme (9). Pour pallier cette lacune, le gouvernement travaillistea présenté au Parlement un projet de loi d’incorporation de laConvention européenne : « The Human Rights Bill (10). »
Le projet du gouvernement est, en réalité, la concrétisation de ses
promesses électorales. A la veille des élections législatives généraleset dans le cadre de son programme de réforme constitutionnellegénérale, le parti travailliste avait publié et soumis à une consulta-tion populaire, un Livre Blanc (White Paper) intitulé : « BringingRights Home : Labour’s plans to incorporate the European Conventionon Human Rights into UK law — a consultation paper (11) », danslequel il expose les raisons, les conditions ainsi que les implicationsde l’incorporation de la Convention européenne des droits del’homme en droit interne (12). C’est seulement depuis le 9 novembre1998 que la Convention est devenue partie intégrante de l’ordrejuridique britannique, après adoption par le Parlement du projetsoumis par le gouvernement (13).
Loin de procéder à une analyse exhaustive de cette loi, notre
réflexion se limitera à l’étude des raisons de l’incorporation (I) ainsiqu’à la place hiérarchique de la Convention dans l’ordonnancementjuridique britannique (II).
Dès après sa ratification, l’intégration de la Convention euro-
péenne en droit interne britannique a constitué le centre d’unsérieux débat juridico-politique. Certains considéraient que l’incor-
(9) N. Lenoir écrit : « (.) en dépit du refus de la Chambre des Communes d’adop-
ter les propositions de loi présentées à diverses reprises tendant à l’incorporation dela Convention du Conseil de l’Europe, cette dernière constitue une source d’inspira-tion et même d’interprétation pour toutes les juridictions britanniques, notammentpour la plus élevée d’entre elles : la Chambre des Lords. », cf. « La Chambre des Lords,à propos des projets actuels de réformes constitutionnelles », in Les Cahiers du Conseilconstitutionnel, no 3, 1997, p. 44.
(10) « Rights brought Home : the Human Rights Bill », octobre 1997, CM 3782. (11) Pour un bref commentaire, voy. G. Bindman, « Bringing rights home », New
Law Journal (N.L.J.), 1997, vol. 147, no 6781, pp. 284 et 286 ; J. Dingemans,« When rights and freedoms are violated », N.L.J., 1997, vol. 147, no 6795, pp. 858-859; J. Wadham, « Bringing rights home : Labour’s plans to incorporate the Euro-pean Convention on Human Rights into UK law », Public Law (P.L.), 1997, pp. 75-79.
(12) Voy. Rights brought Home, ibid., chapitre 1, points 1.11 à 1.19. (13) Voy. Human Rights Act 1998, 1998 Chapter 42, reproduit sur le site de Sa
poration de la Convention est la conséquence logique, voire néces-saire, de sa ratification par le Royaume-Uni (14). D’autres, enrevanche, estimaient que les droits et libertés garantis par laConvention étaient suffisamment protégés par le Common law (15). Partant, l’intégration de la Convention européenne en droit britan-nique devenait alors superfétatoire.
Mais après l’échec des diverses tentatives d’incorporation (16), le
ministre de la Justice du gouvernement de Tony Blair (The LordChancellor, Lord Irvine of Lairg) déposa, le 23 octobre 1997, un pro-jet de loi devant le Parlement en vue de l’incorporation de laConvention européenne des droits de l’homme dans l’ordre juridiquebritannique.
Deux raisons fondamentales semblent avoir motivé l’action du
— la première est que le Common law ne garantit pas suffisamment
les droits et libertés individuels. Par conséquent, l’incorporationde la Convention en droit interne britannique s’avère, sinon iné-luctable du moins nécessaire, puisqu’elle constitue une garantiesupplémentaire des droits et libertés des citoyens britanni-ques (17) ;
(14) A. Drzemczewski, « La question de l’effet direct de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme. La situation au Royaume-Uni et en Pologne », inP. Tavernier, Quelle Europe pour les droits de l’homme ?, Bruylant, Bruxelles, 1996,pp. 125-147, spec. p. 133 : « Les documents du cabinet britannique indiquent qu’en1950, le Lord Chancellor (ministre de la Justice) Jowitt considérait comme allant desoi et comme une conséquence nécessaire de la ratification, que le gouvernementAttlee introduirait une mesure tendant à incorporer la Convention européenne desdroits de l’homme dans l’ordre juridique interne. »
(15) Voy. Rights brought Home, op. cit., chapitre 1 (The Case for Change),
point 1.4 : « In this country, it was long believed that rights and freedoms guaranteedby the Convention could be delivered under our common law. » Sur le Common lawet les droits fondamentaux, lire C. Girard, La conception anglaise des droits fonda-mentaux dans une perspective européenne : Etude de cas, European Public Law Series/Bibliothèque de Droit Public Européen, Vol. III, Esperia Publications Ltd, London,1999, 117 p., spec. pp. 19-58.
(16) Voy. le projet du député conservateur, Sir E. Gardner, déposé à la Chambre
des Communes en 1987 (« Private Member’s Bill on incorporation ») ; les deux projetsde loi d’incorporation de Lord Lester of Herne Hill Q.C., introduits à la Chambre desLords en 1994 et 1996.
(17) Dans sa préface au projet de loi, le Premier ministre (Tony Blair) explique :
« It (The Bill) will give people in the United Kingdom opportunities to enforce theirrights under the European Convention in British courts (.). It will enhance the awa-reness of human rights in our society. And it stands alongside our decision to putthe promotion of human rights at the front of our foreign policy. I warmly commendthese proposals to Parliament and to the people of this country. »
— la seconde est évidemment liée à la première. Elle répond, quant
à elle, à un souci d’adaptation de l’ordre juridique britanniqueaux exigences de la Convention, c’est-à-dire une protection effec-tive des droits et libertés fondamentaux énumérés aux articles 2à 18 de la Convention (18).
Cette dernière considération est, d’une façon générale, une
réponse directe du gouvernement travailliste à la jurisprudence dela Cour européenne des droits de l’homme, qui procédait à unecondamnation automatique du Royaume-Uni s’agissant de l’effecti-vité du droit à recours (art. 13 de la Convention) ou de l’invocationd’un droit propre de la Convention (art. 5, § 5 de la Convention) (19).
Au-delà même de l’intérêt que l’incorporation de la Convention
européenne peut présenter pour les Britanniques, on peut regretterque la loi d’incorporation ne vise que la Convention européenneseule. L’incorporation apparaît, par conséquent, très limitée (B). Ausurplus, la conception de la loi suscite des interrogations sur lanécessité même de cette incorporation de la Convention en droitinterne britannique (A).
La nécessité de la réception préalable de la Convention euro-
péenne, par un acte du législateur, en droit interne britanniqueparaît très discutable, ce à deux titres :
— l’assimilation des droits de l’homme aux normes impératives de
— l’insertion progressive des droits fondamentaux dans les objec-
(18) Voy. Rights brought Home, Ibid., chapitre 1, point 1.4 : « The constitutional
arrangements in most continental European countries have meant that their accep-tance of the Convention went hand in hand with its incorporation into their domesticlaw. (.). In the last two decades, (.), there has been a growing awareness that itis not sufficient to rely (the rights and freedoms guaranteed under the Convention)on the common law and that incorporation is necessary. »
(19) La Cour européenne des droits de l’homme affirme, en effet, que : « (.), les
rédacteurs de la Convention ont voulu indiquer (.) que les droits et libertés duTitre I seraient directement reconnus à quiconque relèverait de la juridiction desEtats contractants. Leur intention se reflète avec une fidélité particulière là où laConvention a été incorporée à l’ordre juridique interne. » (Affaire Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 239).
1. Droits de l’homme et droit international général impératif
L’Organisation des Nations Unies précisait, à l’occasion du qua-
rantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits del’homme, que : « Les droits de l’homme sont ceux qui appartiennent enpropre à la nature humaine et sans lesquels on ne peut vivre en tantqu’être humain. Ils reposent sur l’exigence de plus en plus affirmée del’homme de voir respecter et protéger la dignité et la valeur inhérentesà chaque être humain (20). » En d’autres termes, les droits de l’hommedoivent être appréhendés comme étant des droits naturels. Lesdroits de l’homme sont, en effet, des droits intrinsèques à l’êtrehumain. Ils constituent l’essence même de l’existence de l’homme. Mieux encore, les droits de l’homme s’apparentent à ce que l’onpourrait qualifier de : « acquis humanitaire (21) ». A ce titre, l’obliga-tion de respecter les droits de l’homme se révèle comme une obliga-tion générale. Effectivement, en dépit de leur codification par lesdiverses conventions internationales, les droits de l’homme ont, deprime abord, un fondement coutumier. Ils sont l’expression des«principes généraux de base du droit humanitaire. » La Cour interna-tionale de justice a, à juste titre, souligné que : « l’inexistence d’untel engagement (juridique) ne signifierait pas que le Nicaragua puissevioler impunément les droits de l’homme (22). » De cette façon, elleérige l’obligation de respecter les droits de l’homme en une obliga-tion internationale générale, s’imposant per se à tous les Etats etdans toutes les circonstances.
Le caractère coutumier des normes de protection des droits de
l’homme a, notamment, été identifié par la Cour internationale dejustice dans son arrêt sur le personnel diplomatique et consulaire amé-ricain à Téhéran, à l’occasion duquel elle a fait une référence expli-cite à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Après avoirsouligné globalement les manquements de l’Iran à ses obligationsdiplomatiques, la Cour internationale de justice précise : « Le fait depriver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les soumettre
(20) Droits de l’homme. Questions et réponses, Nations Unies, New York, 1987,
(21) Expression employée, en référence à l’acquis communautaire, par B. Simma,
« International Human Rights and General International Law : A Comparative Ana-lysis », in Collected Courses of the Academy of European Law, 1993, Vol. IV-2, p. 173 :« Through lawrely emphasis on texts and their binding force, we may also protect theacquis humanitaire, to vary an expression from European Community law, againstabuse and denial. » C’est nous qui soulignons.
(22) C.I.J. 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), Rec., p. 134, § 267.
dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifeste-ment incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unieset avec les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelledes droits de l’homme (23). » Mais on peut aussi déduire de la pratiquesubséquente des Etats une consolidation coutumière des principesénoncés par la Déclaration universelle. Au niveau international, onpeut observer que les droits proclamés dans la Déclaration univer-selle ont été repris dans les deux Pactes internationaux des NationsUnies relatifs, respectivement, aux droits civils et politiques et auxdroits économiques, sociaux et culturels. On concédera le fait que laDéclaration universelle « ne prétendait pas faire état du droit existant »et que « l’esprit des Pactes diffère sensiblement de celui de la Déclara-tion (24) » ; cependant, force est de constater que les principes de laDéclaration, en tant que «(.) idéal à atteindre par tous les peupleset toutes les nations (.) », ont toujours servi et servent encore de réfé-rent à bon nombre d’instruments internationaux protecteurs desdroits de l’homme. C’est en ce sens que, au niveau régional, lesrédacteurs de la Convention européenne, par exemple, se sont réso-lus « à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie col-lective de certains des droits énoncés dans la Déclaration univer-selle (25) », car « cette déclaration tend à assurer la reconnaissance etl’application universelles et effectives des droits qui y sont énoncés (26). »
En dehors de la Convention européenne, diverses Chartes des
droits de l’homme réaffirment leur attachement à la Déclarationuniverselle. C’est le cas, notamment, de la Charte africaine desdroits de l’homme et des peuples (27) ainsi que de la Charte arabedes droits de l’homme (28). Des références expresses à la Déclarationuniverselle sont aussi faites dans diverses Constitutions natio-nales (29). Elles révèlent, enfin, que les Etats reconnaissent unevaleur particulière à ce texte fondamental.
(23) Recueil des arrêts de la Cour, 1980, p. 42, § 91. (24) J. Combacau et S. Sur, Droit international public, op. cit., pp. 390 et 391. (25) Préambule de la Convention de sauvegarde des droits et des libertés fonda-
(26) Préambule de la Convention de sauvegarde des droits et des libertés fonda-
(27) V. Eteka Yemet, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,
Logiques juridiques, L’Harmattan, 1996, 476 p.
(28) Voy. A. Mahiou, « La Charte arabe des droits de l’homme », in L’évolution du
droit international. Mélanges offerts à H. Thierry, Pedone, Paris, 1998, pp. 305-320.
(29) On citera, à titre d’illustration, l’article 11 de la première Constitution algé-
rienne (1963), le préambule de la Constitution de Mauritanie (1991), article 16, § 2,la Constitution portugaise ainsi que l’article 10, § 2 de la Constitution espagnole de
Le caractère coutumier du contenu de la Déclaration de 1948 est
aussi affirmé par une partie de la doctrine. Pour M. McDougal, laDéclaration universelle des droits de l’homme « is now hailed (.) asestablished customary law, (.) constituting the heart of a global bill ofrights (30). » De son côté, V. Coussirat-Coustère note que : « Cette réfé-rence (.) à la Déclaration universelle est faite dans un contexte quilui donne une valeur particulière. (.). Ce faisant, elle (la Cour inter-nationale de justice) fait de la méconnaissance de la Charte et de laDéclaration universelle une violation autonome des autres (.) (31). »De la même manière, P. Daillier et A. Pellet font remarquer que laDéclaration universelle « n’est pas, en tant que recommandation,source d’obligations pour les Etats. En revanche, les principes qu’ellesproclament peuvent avoir, et ont pour la plupart, valeur de droit coutu-mier, voire de normes impératives (32). »
L’examen de la doctrine révèle aussi que la plupart des auteurs
considèrent les règles relatives à la protection des droits de l’hommecomme appartenant à la catégorie des normes impératives de droitinternational (33). Certains auteurs ont, du reste, plaidé pour l’exis-tence d’un « ius cogens » des droits de l’homme qui comprendraientessentiellement ce que l’on appelle les droits fondamentaux ou les
←1978, aux termes duquel : « Les normes relatives aux droits fondamentaux etaux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à laDéclaration universelle des droits de l’homme et aux traités et accords internatio-naux portant sur les mêmes matières ratifiées par l’Espagne. » C’est nous qui souli-gnons.
(30) Cité par E. Suy, « Droit des traités et droits de l’homme », in Festschrift für
H. Mosler. Völkerrecht als rechtsordnung Internationale Gerichtsbarkeit Menschenrechte,Springer-Verlag, Berlin, Heidelberg, New-york, 1983, p. 936.
(31) V. Coussirat-Coustère, « L’arrêt de la Cour sur le personnel diplomatique et
consulaire américain à Téhéran », Annuaire français de droit international (A.F.D.I.),1980, pp. 201-224.
(32) N. Quoc Dinh, P. Daillier, A. Pellet, Droit international public, L.G.D.J.,
(33) Voy., notamment, T. Meron, Human Rights and Humanitarian Norms as
Customary Law, Clarendon Press, Paperbacks, Oxford, 1991, 263 p. Cette question aaussi été discutée lors du Colloque de Strasbourg, célébrant le trentième anniversairede la S.F.D.I. et consacré à la protection des droits de l’homme. On retiendra essen-tiellement le rapport général de J.-F. Flauss, « La protection des droits de l’hommeet les sources du droit international », in La protection des droits de l’homme et l’évolu-tion du droit international, Pedone, Paris, 1998, pp. 11-79, spéc. pp. 48-79. On liraaussi avec intérêt les conclusions générales de G. Cohen-Jonathan, clôturant cemême colloque, pp. 307-341.
droits intangibles de l’homme (34). A ce sujet, K. M’Baye écrit : « Cesdroits (les droits fondamentaux) appartiennent à l’homme en tant quetel. Ils procèdent de sa nature d’être doué de raison et de conscience. Ils ne peuvent sous aucun prétexte être méconnus ou violés. Leur recon-naissance au profit d’un individu ne tient pas compte de l’apparte-nance nationale de ce dernier. On ne peut pas leur apporter de déroga-tion, quelles que soient les circonstances (35). » Pour cet auteur, droitsde l’homme et ius cogens sont des concepts sinon identiques, dumoins très proches (36).
Il est, toutefois, important de préciser que tous les droits de
l’homme ne revêtent pas un caractère véritablement absolu. Mais siles différentes conventions internationales relatives aux droits del’homme permettent des dérogations de la part des Etats parties,notamment pour des raisons d’intérêt public, il n’en reste pas moinsque les Etats ne sauraient, en aucune circonstance, déroger auxdroits dits intangibles. Ainsi, ce noyau dur des droits de l’homme,présentant un caractère coutumier, comprend quatre grandesfamilles de droits :
— le droit à la vie (art. 2 de la Convention européenne et 6 du
— l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou
— l’interdiction de l’esclavage et de la servitude (art. 4 et 8) ;— l’interdiction de la rétroactivité en matière pénale (art. 7 et 15).
En dehors de ce noyau dur, deux autres droits revêtant une
nature coutumière font partie intégrante du corpus normatif de laDéclaration universelle et de la Convention européenne :
(34) A ce sujet, voy. P. Meyer-Bisch (éd.), Le noyau intangible des droits de
l’homme, Actes du Colloque interdisciplinaire sur les droits de l’homme, Editions uni-versitaires, Fribourg, 1991, 272 p. ; F. Sudre, « Droits intangibles et/ou droits fonda-mentaux : y a-t-il des droits prééminents dans la Convention européenne des droitsde l’Homme ? », in Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruylant, Bruxelles,L.G.D.J., Paris, 1995, pp. 381-398.
(35) K. M’Baye, « Droits de l’homme et pays en développement », in Humanité et
droit international. Mélanges René-Jean Dupuy, Pedone, Paris, 1991, p. 217. C’estnous qui soulignons.
(36) Sur la notion de ius cogens, lire : L. Hannikainen, « Peremptory Norms (jus
cogens) », in International Law : Historical development, Criteria, Present status, Fin-nish lawyers’ Publishing Company, 1988, 781 p., spec. Chapitre 10 (Peremtory normsin the International Law of Human Rights), pp. 425-520.
— le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 de la Convention et
— le droit de la propriété (art. 1er du Protocole additionnel et
art. 17 de la Déclaration universelle) (37).
La conception coutumière des droits de l’homme identiques à
ceux protégés par la Convention européenne est, du reste, confirméepar la pratique du Royaume-Uni dans sa vie diplomatique et ausein de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe(O.S.C.E.).
On doit enfin noter que les obligations souscrites par les Etats,
parties aux traités protecteurs des droits de l’homme, sont desobligations objectives en ce sens qu’elles visent, avant tout, à proté-ger les droits des individus contre les empiétements de l’Etat. Ladoctrine et la jurisprudence internationale s’accordent, à soulignerla nature juridique particulière des conventions internationales deprotection des droits de l’homme (38). Ainsi, dans le cadre de laConvention européenne, la Cour a toujours précisé que : « A la dif-férence des traités internationaux de type classique, la Conventiondéborde le cadre de la simple réciprocité entre Etats contractants. Ensus d’un réseau d’engagements synallagmatiques bilatéraux, elle créedes obligations objectives qui, aux termes de son préambule, bénéfi-cient d’une garantie collective (39). » Cet arrêt s’inspire largement dela jurisprudence de la Cour internationale de justice qui, dès 1951,rappelait déjà que : « Dans une telle Convention, les Etats contrac-tants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun,
(37) Pour la Convention européenne, le droit de propriété relève, sans équivoque
du droit international général. L’article 1er, alinéa 1er du Protocole additionnel pré-cise, en effet : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans lesconditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. » C’estnous qui soulignons.
(38) Voy. B. Simma, op. cit., pp. 153-236, spéc. pp. 195-200 (The Nature of
A. Drzemczewski considère, quant à lui, que la Convention européenne des droits
de l’homme est un traité sui generis : « (.), although constructed upon tenets of tra-ditional treaty law, the Convention law transcends the traditional boundaries drawnbetween international and domestic law : in short, the Convention may be consideredsui generis. » Cf. European Human Rights Convention in Domestic Law. A ComparativeStudy, Clarendon Press, Oxford, 1983, p. 23.
(39) Cour eur. dr. h., 18 janvier 1978, Aff. Irlande c. Royaume-Uni, op. cit., § 239.
Voy. également, 23 mars 1995, Aff. Loizidou c. Turquie, dans laquelle la Cour consi-dère qu’elle « doit tenir compte de la nature particulière de la Convention, instrumentde l’ordre public européen pour la protection des êtres humains » (§ 93).
un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont laraison d’être de la Convention (40). »
De ce qui précède, on peut retenir que l’intervention du légis-
lateur britannique n’était pas un préalable indispensable à l’intégra-tion des instruments de protection des droits de l’homme en droitinterne. L’action conjuguée du caractère coutumier et impératif desdroits fondamentaux de la personne humaine ainsi que la spécificitéde la nature juridique des traités internationaux y afférant suffisait,à elle seule, à justifier de leur applicabilité directe et inconditionnelledans l’ordre juridique britannique, sans qu’un acte du législateur nevienne, en amont, l’incorporer au sein de l’ordonnancement juridi-que. Ceci ne contredit aucunement les règles constitutionnelles bri-tanniques pertinentes en la matière ; ce n’est, au contraire, qu’unesimple application de l’adage constitutionnel : « International Law isa part of the Law of the Land (41). »
Sur cette dernière question, la doctrine britannique relève que,
contrairement à une idée répandue, l’articulation entre le droitinternational général et le droit interne britannique n’est pas claire-ment établie (42). Ces auteurs font également remarquer que lenombre des décisions judiciaires annuelles dans lesquelles une réfé-rence explicite est faite au droit international en général, et au droitinternational général en particulier, est très faible. Cependant, ilsnotent que, d’une manière générale, la cour d’appel et la Chambredes Lords ont souvent décidé que le droit international général, etplus particulièrement la coutume internationale, fait partie inté-grante de l’ordre juridique britannique, même sans interventionpréalable du législateur (43).
Dépassant le cadre du droit international général impératif, on
constate que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme etdes libertés fondamentales est, au fil des années, devenue un patri-moine constitutionnel commun aux Etats membres des Commu-nautés européennes. Cette vocation est davantage renforcée par l’in-
(40) C.I.J., Avis du 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la
répression du crime de Génocide, Rec., p. 23. C’est nous qui soulignons.
(41) Sur cet adage, voy. supra, note 5. (42) Voy. H. Fox, P. Gardner, C. Wickremasinghe, « United Kingdom », in P.-
M. Eisemann, The integration of international and european Community law into thenational legal order. A study of the practice in Europe, op. cit., pp. 517-520 [Unwritteninternational law (international custom and general principles)].
(43) Voy. les arrêts Trendtex (CA, 1977) et I Congresso del Partido (HL, 1981),
cités par H. Fox et alii, in P.-M. Eisemann, The integration of International andEuropean Community Law(.), ibid., pp. 517 et 518.
tégration progressive de la protection des droits de l’homme dansles objectifs de l’Union européenne (44).
2. Droits de l’homme et droit communautaire intégré
Les Communautés européennes ne sont pas partie contractante à
la Convention européenne des droits de l’homme (45), même si laprotection effective des droits fondamentaux rentre de plus en plusdans les objectifs à atteindre (46).
La problématique de la protection des droits fondamentaux au sein
des Communautés européennes a été posée, dès les années cinquante,dans l’affaire Stork (47). Après une longue période de réticence, la Courde justice des Communautés européennes érige la protection des droitsfondamentaux en un principe général de droit communautaire, dontelle a l’obligation d’assurer le respect (48). Par la suite, la Cour vaconsolider sa jurisprudence, faisant une référence explicite ci et là auxdispositions de la Convention européenne, pour enfin incorporer lesdroits et libertés protégés par la Convention européenne des droits del’homme dans les principes généraux du droit communautaire (49). Cette insertion jurisprudentielle de la Convention dans l’ordonnance-ment juridique communautaire est, aujourd’hui, consacrée par lestraités de Maastricht et d’Amsterdam sur l’Union européenne (50).
(44) Sur ce point, voy. S. Leclerc, J.F. Akandji-Kombé, M.-J. Redor, L’Union
européenne et les droits fondamentaux, Bruylant, Bruxelles, 1999, 235 p.
(45) Voy. C.J.C.E., 28 mars 1996, Avis 2/94, Adhésion de la Communauté à la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Rec. I-1759.
(46) Voy. l’article F, § 2 Maastricht (Art. 6, § 2 Amsterdam) : « L’Union respecte les
droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauve-garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, (.), et tels qu’ils résultent destraditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes géné-raux du droit communautaire. »
(47) C.J.C.E., 4 février 1959, Friedrich Stork et Cie contre Haute Autorité de la
Communauté européenne du charbon et de l’acier, Aff. no 1-58, Rec., p. 43.
(48) C.J.C.E., 12 novembre 1969, Stauder contre Ville d’Ulm, Aff. 29-69, Rec.,
p. 425 : « (.), la disposition litigieuse ne révèle aucun élément susceptible de mettreen cause les droits fondamentaux de la personne compris dans les principes générauxdu droit communautaire, dont la Cour assure le respect. »
(49) Voy. les arrêts Rutili (1975), Royer (1976), Hauer (1979) et National Panaso-
nic (1980). A ce sujet, lire R.-E. Papadopoulou, Principes généraux du droit et droitcommunautaire. Origines et concrétisation, Sakkoulas, Athènes, Bruylant, Bruxelles,1996, spéc., pp. 137-165.
(50) A ce sujet, lire F. Sudre, « La Communauté européenne et les droits fonda-
mentaux après le Traité d’Amsterdam : Vers un nouveau système européen de pro-tection des droits de l’homme ? », J.C.P. — La Semaine Juridique, édition générale,nos 1-2, 1998, I 100, pp. 9-16.
L’enracinement du droit européen des droits de l’homme en droit
communautaire démontre qu’il existe une interconnexion irréfu-table entre la Convention européenne et le droit des Communautéseuropéennes (51). La jurisprudence de la Cour de justice des Commu-nautés européennes ne s’impose pas seulement aux institutions com-munautaires ; elle est également obligatoire pour les Etats membreslorsque ceux-ci mettent en œuvre la réglementation communautaireou invoquent l’application du droit communautaire (52). Les Etatsmembres, en tant que destinataires de l’obligation communautairede respecter la Convention européenne des droits de l’homme, sontliés lorsque leurs actes rentrent dans le champ d’application dudroit communautaire. Cette obligation est d’autant plus significa-tive que les Etats membres de l’Union européenne ont intégré le res-pect des droits de l’homme dans les conditions essentielles de l’éta-blissement des relations avec les Etats tiers (53) ou encore de l’adhé-sion d’un Etat au sein de l’Union européenne (54).
La Convention européenne est, de par son ancrage communau-
taire, parée de toutes les qualités du droit communautaire, c’est-à-dire l’immédiateté, l’effet direct et la primauté sur l’ordre juridiqueétatique, le droit interne ne jouant qu’au titre de l’autonomie procé-durale. Il en résulte donc que l’obligation du juge national de garan-tir, dans son ordre juridique, le respect des droits et libertés fonda-mentaux contenus dans la Convention est, dorénavant, d’optionmoniste.
Cela étant, puisque le Royaume-Uni est membre des Commu-
nautés européennes et que le droit communautaire est déjà partieintégrante de l’ordre juridique britannique, la soumission de l’appli-cabilité de la Convention à son incorporation préalable par un nou-vel acte du législateur britannique devient superflue, voire incohé-rente. De ce fait, il est donc loisible que la Convention, source à partentière de la légalité communautaire, puisse jouir du même traite-ment que les autres sources de l’ordre juridique communautaire. En
(51) Sur les rapports entre la Convention, le droit communautaire et les Constitu-
tions nationales, voy. G. Ress, « Menschenrechte, europäisches Gemeinschaftsrechtund nationales Verfassungsrecht », in Staat und Recht. Festschrift für Gunther Winkler,Springer-Verlag, Wien, New-York, 1997, pp. 897-932.
(52) C.J.C.E., 13 juillet 1989, Wachauf, Aff. 5/88, Rec., p. 2609, spéc. § 18 et 19
(p. 2639) ; C.J.C.E., 18 juin 1991, ERT, Aff.C-260/89, Rec. I-2925, notamment §§ 42et 43 (I-2964).
(53) Voy. not. Convention de Lomé IV ; COM (1998) 146 final du 12 mars 1998,
Démocratisation, Etat de droit, respect des droits de l’homme et bonne gestion desaffaires publiques : les enjeux du partenariat entre l’Union européenne et les ACP.
(54) Article 49 (O) du Traité sur l’Union européenne.
l’espèce, l’incorporation de la Convention en droit britanniquedevrait s’effectuer par le biais de l’Acte des Communautés euro-péennes (European Communities Act) de 1972 (55). Ce mode d’inser-tion des normes internationales en droit national est ce qu’on peutqualifier d’incorporation indirecte ou incorporation « par rico-chet » (56). L’avantage d’un tel mode d’incorporation est qu’il permetnon seulement l’économie d’une nouvelle procédure législativeinterne mais aussi et surtout l’invocabilité immédiate de la Conven-tion par toute personne concernée, devant le juge britannique, sansque la carence du législateur ne s’érige en véritable obstacle consti-tutionnel.
On remarque, cependant, que l’incorporation de la Convention en
droit britannique est d’une qualité moindre que les effets internesdéployés par le droit communautaire (57). La loi d’incorporationcrée inéluctablement une dualité de régimes dans l’applicationinterne de la Convention européenne, à savoir : une application par-faite lorsque la Convention rentre dans le champ d’application dudroit communautaire et une application bancale quand elle sort ducadre communautaire.
Mais si l’on considère l’intervention du législateur comme étant
une exigence impérative, force est, néanmoins, de constater que laloi d’incorporation demeure restrictive.
(55) Pour plus de détails, voy. J. Dutheil de la Rochère, « Le droit internatio-
nal fait-il partie intégrante du droit anglais ? (Réflexions sur les relations entre ledroit international et le droit interne au Royaume-Uni, à la lumière de l’apparte-nance communautaire de ce pays) », in Le droit international : unité et diversité. Mélanges offerts à Paul Reuter, Pedone, Paris, 1981, pp. 243-268. Elle écrit, notam-ment, que : « Nombreux sont encore les obstacles avant que l’adage (Internationallaw is part of the law of the land) devienne réalité. (.) : la Convention européennedes droits de l’homme ne fera pas partie du droit interne britannique tant qu’ellen’aura pas été introduite par le législateur. » (p. 268).
(56) Sur ce sujet, voy. J.-F. Flauss, « L’incorporation indirecte des traités de pro-
tection des droits de l’Homme. Evolutions récentes en Australie et en Grande-Bre-tagne», Rev. trim. dr. h., 1997, no 29, pp. 35-40.
(57) Voy. K.D. Ewing, « The Human Rights Act and Parliamentary Democracy »,
The Modern Law Review (M.L.R.), vol. 62, no 1, january 99, p. 84 : « The HumanRights Act 1998 does not incorporate the ECHR into domestic law in the way thatthe European Communities Act 1972 incorporates the EC Treaty. Rather what itdoes is to give effect to certain provisions of the Convention and its protocols by pro-viding that these so-called ‘ Convention rights ’ are to have a defined status inEnglish law. There is no question of the Convention rights in themselves ‘ becomingpart of our substantive domestic law ’. »
La raison principale invoquée par le gouvernement britannique
pour justifier l’incorporation de la Convention européenne en droitinterne est celle de « Ramener les droits à la maison (Bringing RightsHome) ». Si cela était réellement le cas, on devrait s’attendre à ceque tous les droits et libertés garantis par les différentes conventionsinternationales liant le Royaume-Uni inspirent le « Human RightsAct ». Or, que constate-t-on ? D’une part, la loi d’incorporation neconcerne que la Convention seule (1) ; d’autre part, l’autorité de lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme estremise en cause (2).
1. La référence à la Convention européenne seule.
La loi du 9 novembre 1998 procède à une insertion fragmentaire
des droits de l’homme en droit interne britannique. Le texte préciseexplicitement que : « (The Human Rights Act is) An Act to give fur-ther effect to rights and freedoms guaranteed under the EuropeanConvention on Human Rights ; (.) (58). » Or la Convnetion n’est pasle seul instrument international protecteur de droits de l’hommeauquel le Royaume-Uni ait souscrit. Cette incorporation, relative-ment partielle, peut être préjudiciable pour les personnes relevantde la juridiction britannique. A titre d’exemple, ceux-ci ne peuvent
(58) C’est nous qui soulignons. L’article 1er, paragraphe 1er de cette loi explique
ce que l’on doit entendre par droits conventionnels :
« In this Act ‘ the Convention rights ’ means the rights and fundamental freedoms
Articles 2 to 12 and 14 of the ConventionArticles 1 to 3 of the First Protocol, andArticles 1 and 2 of the the Sixth Protocol, as read with Articles 16 to 18 of the
Il est très surprenant de constater que le législateur britannique n’ait pas retenu
le Protocole no 11, ratifié par le Royaume-Uni et entré en vigueur le 1er novembre1998, juste avant l’adoption de la loi d’incorporation (9 novembre 1998). De plus,seules les dispositions relatives aux droits subjectifs sont incorporées. Dès lors, lesclauses considérées comme non génératrices des droits subjectifs (article 1 de laConvention, par exemple) ainsi que les dispositions dites intergouvernementales(articles 15 et 64) sont tout simplement écartées. De même, l’article 13 qui prescritle droit à un recours effectif est totalement ignoré par la loi du 9 novembre 1998. Lesconséquences de la non-incorporation de ces clauses conventionnelles en droit britan-nique sont d’une importance significative : le justiciable ne peut s’en prévaloirdevant le juge national.
se prévaloir, dans les procédures internes, des dispositions du Pacteinternational des Nations Unies (59).
Le gouvernement a tenté de justifier son choix par le fait que les
droits et libertés garantis par la Convention sont ceux avec lesquelsles Britanniques sont les plus familiers (60). Toutefois, même s’ilsemble certain que le système européen de protection des droits fon-damentaux est l’un des meilleurs si ce n’est l’unique au monde,cette seule raison n’est pas suffisamment convaincante pour motiverla mise à l’écart de tout autre mécanisme international de protec-tion de droits de l’homme, aussi imparfait soit-il.
Il existe, bien entendu, une similitude, voire une identité, entre
les droits protégés par la Convention et ceux reconnus par les autresinstruments internationaux, essentiellement par le Pacte internatio-nal relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies. Néan-moins, priver le justiciable du bénéfice d’un système complémen-taire de protection de ses droits fondamentaux équivaut à nierl’existence des droits dont il est le destinataire, d’autant plus quele Pacte des Nations Unies va au-delà du texte de la Conven-tion (61). Une telle attitude implique, en réalité, un traitement diffé-rencié des divers textes internationaux relatifs aux droits del’homme. On assiste, dès lors, à deux situations antinomiques :
— une application peu ou prou automatique, par le juge britanni-
que, des normes issues de la Convention ;
— une simple prise en compte des autres instruments protecteurs
de droits fondamentaux par le juge interne qui doit, le caséchéant, recourir à une interprétation conforme de la législationen vigueur vis-à-vis de ces traités. Mais encore faut-il que leCommon law soit lui-même incertain (62).
(59) Il s’agit, bien entendu, du Pacte international relatif aux droits civils et poli-
tiques, Nations Unies (Doc. A/6316 [1966]).
(60) « The rights and freedoms which are guaranteed under the Convention are
ones with which the people of this country are plainly comfortable. They, therefore,afford an excellent basis for the Human Rights Bill which we are now introducing. »,voir Rights brought Home, op. cit., chap. 1, point 1.3.
(61) C’est le cas notamment du principe d’égalité devant la loi, affirmé par l’ar-
ticle 26 du Pacte, et qui n’est pas repris dans la Convention.
(62) Voy. N. Lenoir, op. cit., p. 44 : « En dehors du cas très fréquent de modifica-
tion de la législation, (.), (la) Convention, (.), s’avère constituer la principale sourced’interprétation jurisprudentielle de la loi et du règlement. Il en est ainsi lorsque laloi est ambiguë, lorsque les principes de la Common law ont une portée incertaine,(.).»
Dans ce dernier cas, les autres instruments internationaux ne
joueront qu’un simple rôle d’auxiliaire d’interprétation du Commonlaw, et donc de la Convention. Il semble, dès lors, que l’adoption del’Acte relatif aux droits de l’homme (Human Rights Act) aurait dûêtre l’occasion pour le législateur britannique d’opérer une incorpo-ration en bloc, c’est-à-dire une insertion globale des différents ins-truments internationaux relatifs aux droits de l’homme, auxquels leRoyaume-Uni est partie contractante. Ceci se comprend encoremieux si l’on s’en tient à la dénomination de la loi qui, stricto sensu,n’est pas spécifique à la Convention (auquel cas elle aurait été nom-mée : European Convention on Human Rights Act) mais, au contraireaux droits de l’homme en général (Human Rights Act). La loi d’in-corporation est en nette contradiction avec l’objectif affiché par leprojet travailliste initial, consigné dans le Livre blanc de 1996, etqui avait pour ambition de « Ramener les droits à la maison (Brin-ging rights Home) (63). »
Somme toute, l’incorporation de la Convention dans l’ordre natio-
nal britannique paraît, par ailleurs, n’apporter aucun changementfondamental pour le justiciable pour la simple raison que, auxtermes de la loi d’incorporation, l’autorité des arrêts de la Coureuropéenne reste encore ambiguë (64).
2. L’autorité de la jurisprudence de la Cour européenne
L’incorporation de la Convention en droit britannique devait se
réaliser en connaissance de cause. Contrairement aux années cin-quante, la Convention européenne ne se limite plus aux seules dispo-sitions textuelles ; elle intègre également l’interprétation issue de lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il estincontestable que cette interprétation est de plus en plus techniqueet raffinée, et que tous les droits conventionnels ne sont pas desdroits coutumiers. Mais ceci n’empêche pas le législateur de manifes-ter une volonté d’incorporation plus effective, soit une incorpora-tion concomitante des dispositions matérielles de la Convention et
On peut également se reporter à l’affaire R. v. Bow Street Magistrate’s Court, citée
par A. Drzemczewski, op. cit., p. 131 : « (.) les obligations imposées au Royaume-Uni par la Convention sont des sources pertinentes (.) lorsque la Common law estincertaine. » C’est nous qui soulignons.
(63) Voy. supra, notes 9 et 10, p. 3. (64) K.D. Ewing déplore, avec raison, que : « (.) what we have incorporated is
not the European Convention on Human Rights, but a number of principles whichhappen to be included in the Convention. » (voir article précité, note 57).
de la jurisprudence de la Cour. Mais paradoxalement, la loi inter-prète de manière restrictive le contenu de la Convention. Pour lelégislateur britannique, la Convention européenne se limiterait auxseules clauses matérielles. De cette façon, la jurisprudence de laCour est tout simplement exclue des dispositions incorporées.
Mais si pour une partie de la doctrine, « The importance of incorpo-
ration is together with the Convention and its rights, the interpretationof the Convention by the European Court of Human Rights is alsoincorporated (65) », il convient, cependant, de préciser que l’autoritéde la jurisprudence de la Cour européenne demeure limitée. Aussil’article 2, paragraphe 1, point a) de la loi d’incorporation précise-t-il : « A court or tribunal determining a question which has arisen inconnection with a Convention right must take into account any judg-ment, decision, declaration or advisory opinion of the European Courtof Human Rights, (.) whenever made or given, so far as, in the opi-nion of the court or tribunal, it is relevant to the proceedings in whichthat question has arisen. »
L’expression « must take into account » signifie tout simplement que
le juge britannique s’inspire, pour l’interprétation des droits issus dela Convention européenne, de la jurisprudence de la Cour. Cela neveut pas dire que ce même juge est tenu de s’y conformer, auquelcas le législateur aurait utilisé la formule suivante : « A Court or Tri-bunal (.) must apply any judgment, decision, declaration or advisoryopinion of the ECHR, (.). (66)» En clair, le législateur britanniquetend à scinder la jurisprudence bien établie de la Cour européennedu texte même de la Convention. Or, « la tendance générale dans tousles pays (contractants) est d’appliquer de plus en plus la Conventiondans sa ‘ réalité ’ jurisprudentielle (67). » En limitant la question de lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à saseule prise en compte par le juge britannique, en vue de l’interpréta-tion des droits conventionnels, la loi d’incorporation prive laConvention de son effet utile. Ceci est d’autant plus perceptible que
(65) Voy., notamment, G. Schermers, « Human Rights in the European Union
after the reform of 1 November 1998 », European Public Law, vol. 4, Issue 3, p. 341.
(66) Voy. K.D. Ewing, op. cit., p. 85 : « It is to be noted, (.), that the courts are
required simply to take into account the jurisprudence of Strasbourg bodies, but arenot bound by it, (.). »
(67) G. Cohen-Jonathan, « Quelques considérations sur l’autorité des arrêts de la
Cour européenne des droits de l’Homme », in Liber Amicorum Marc-André Eissen, op. cit., p. 53.
l’article 2, paragraphe 1er vise non seulement la Cour mais aussitous les autres organes de la Convention (68).
L’absence de toute obligation pour le juge national d’appliquer les
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme aboutit, en défi-nitive, à la récusation du droit d’invocabilité de la jurisprudenceeuropéenne par le justiciable devant les tribunaux internes. Il s’en-suit, alors, que toute possibilité de réouverture de procéduresinternes closes en vue de faciliter la conformité du droit national auxexigences conventionnelles, suite à un arrêt de la Cour, doit être écar-tée (69). En revanche, l’intention du législateur semble s’orienter versune obligation généralisée : les juridictions britanniques sont tenuesde prendre en considération toute la jurisprudence des organes de laConvention et non seulement celle rendue contre le Royaume-Uni.
En dernière analyse, on ne peut pas éluder la question de savoir
ce qu’aurait été la situation sans l’article 2 de la loi d’incorporation. C’est en ce sens qu’une interprétation différente pourrait voir danscette disposition une invitation expresse faite par le législateur aujuge afin d’appliquer la jurisprudence de la Cour. Si c’est le cas, onne peut que s’en féliciter dans la mesure où le législateur britanni-que a osé faire ce que même les systèmes monistes n’ont pu réaliser.
Quoiqu’il en soit, la jurisprudence de la Cour doit demeurer insé-
parable du texte de la Convention, car elle fait corps avec ce traité. En ce sens, on dira que la jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l’homme ainsi que les différentes dispositions de laConvention sont les membres d’un seul et même corps. Lorsque l’unde ces membres souffre, c’est le corps entier qui en ressent la dou-leur (70). Il devient alors inconcevable qu’un Etat prétende incorpo-rer la Convention dans son droit interne si, en même temps, il n’in-corpore pas la jurisprudence de la Cour européenne, l’application de
(68) Voy. les points b, c et d de l’article 2, § 1 de la loi, précité. (69) Pour une approche globale de cette question, lire l’étude du Comité DH-PR
du Conseil de l’Europe, « La Convention européenne des droits de l’homme : instaura-tion d’une procédure de révision au niveau national pour faciliter la conformité avecles décisions de Strasbourg », in R.U.D.H., 1992, pp. 127-136. Voir aussi A. Drzemc-zewski et P. Tavernier, « L’exécution des ‘ décisions ’ des instances internationalesde contrôle dans le domaine des droits de l’homme », in La protection des droits del’homme et l’évolution du droit international. Colloque de Strasbourg, pp. 243-248 (§ 113-120).
(70) Voy. Première Epître de Paul aux Corinthiens, chapitre 12, versets 14 et 26 :
« Ainsi le corps n’est pas un seul membre, mais il est formé de plusieurs membres. (.) si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre esthonoré, tous les membres se réjouissent avec lui. »
la Convention dans l’ordre étatique étant intimement liée à la priseen compte effective de la jurisprudence de la Cour (71). En d’autrestermes, la Convention européenne des droits de l’homme et la juris-prudence de la Cour peuvent être comparées à des sœurs siamoises,c’est-à-dire que la Convention ne doit être applicable en droitinterne que dans les seules limites du cadre fixé par la seule juris-prudence de la Cour.
En définitive, même si l’on souscrit aux contraintes de la théorie
dualiste, l’on doit convenir que la raison principale de l’incorpora-tion est de permettre aux normes de la Convention européenne dedéployer un certain nombre d’effets juridiques en droit interne. Or,l’intensité de ces effets va dépendre non seulement de son applicabi-lité directe mais aussi du rang hiérarchique qui lui sera reconnu ausein de l’ordonnancement juridique.
de la Convention européenne des droits de l’homme
dans l’ordonnancement juridique britannique
La Convention européenne ne contient aucune disposition
expresse relative à son effet direct et/ou à sa primauté sur le droitinterne. La loi d’incorporation a le mérite de reconnaître un effetdirect aux dispositions incorporées (72). Cependant, la question de lasuprématie de la Convention sur une norme nationale contraire,corollaire indispensable de son effet direct, reste compromise par leprincipe constitutionnel de la souveraineté parlementaire (A), mêmesi des perspectives d’évolution peuvent être envisagées (B).
A. — Primauté de la Convention européenne
Depuis le XVIIIe siècle, la doctrine constitutionnelle britannique
est dominée par le principe de l’omnipotence du Parlement (Parlia-
(71) Voy. K.D. Ewing, op. cit., p. 86 : « The fact remains that the Convention is
meaningful only because of the principles of interpretation developed in the case law,and the decisions on points of substance, issues which are of universal application. As a text the Convention is meaningless without the jurisprudence, as is true of anyother legal text : to sever the jurisprudence from the treaty is like severing the limbs froma torso. » Nous soulignons.
(72) Voy. l’article 7 : « A person who claims that a public authority has acted (or
proposes to act) in a way which is made unlawful by section 6 may — (.) rely onthe Convention right or rights concerned in any legal proceedings, (.). ».
mentary Sovereignty), mis en valeur par Dicey (73). Ce principe posedeux règles essentielles :
— aucun parlement ne peut lier ses successeurs (No Parliament can
— personne (pas même le juge) n’a le droit d’invalider un acte du
Parlement (No person or body is recognised as having the right tooverride or set aside the legislation of Parliament).
La souveraineté « absolue » du Parlement rend ainsi difficile la
prééminence de la Convention en droit interne britannique. Deuxéléments principaux y contribuent efficacement : la méconnaissancede la hiérarchie normative en droit constitutionnel britannique (1)et l’érection, par le législateur, d’une simple primauté déclaratoirede la Convention devant le juge interne (2).
1. Convention européenne et absence de hiérarchie normative
La loi d’incorporation de la Convention en droit britannique
consacre expressis verbis le principe dicéyen de l’omnipotence duParlement. Il accorde, a priori, un rang législatif aux normes de laConvention européenne. D’ailleurs, les juristes britanniques soutien-nent, d’une manière générale, que toutes les lois du Parlement sevalent et que, par conséquent, la hiérarchie des normes est unenotion inconnue de leur système juridique. Dicey lui-même affir-mait que : « (.), there is under the English constitution no marked orclear distinction between laws which are not fundamental or constitutio-nal and laws which are fundamental or constitutional. The very lan-guage therefore, expressing the difference between a [legislative] assem-bly which can change ordinary laws and a [constituent] assemblywhich can change not only ordinary but also constitutional and funda-mental laws, has to be borrowed from the political phraseology offoreign countries (74). » Cependant, ne reconnaître qu’une simplevaleur législative à la Convention européenne ne revient-il pas à nier
(73) A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 8th ed.,
Liberty Classics, Indianapolis, p. 3 (Chapter I : The nature of Parliamentary sove-reignty) : « The principle of Parliamentary sovereignty means neither more or lessthan this, namely, that Parliament thus defined has (.) the right to make andunmake any law whatever; and further, that no person or body is recognised by thelaw (.) as having the right to override or set aside the legislation of Parliament. »
Pour un avis contraire, voir Colin R. Munro, Studies in Constitutional Law, But-
terworths, London, 1987, 220 p., spec. pp. 61-78 (Was Parliament born free ?)
(74) A.V. Dicey, précité, p. 37 (voy. essentiellement, Chapter II : Parliament and
toute possibilité de protection effective des droits et libertés garan-tis par la Convention aux personnes relevant de la juridiction bri-tannique (75) ? Cette solution ne conduit-elle pas inévitablement àl’application de la règle lex posterior derogat legi priori ? La mécon-naissance théorique de la hiérarchie des normes en droit constitu-tionnel britannique correspond, au fond, à une négation explicite dela primauté de la Convention sur un acte du législateur contraire etpostérieur à l’Acte sur les droits de l’homme.
La volonté du législateur consistant à faire prévaloir les normes
de droit interne contraires à la Convention européenne s’exprimeclairement par l’instauration d’une simple primauté déclaratoiredevant les tribunaux britanniques.
2. Une primauté déclaratoire devant les tribunaux
L’insertion de la Convention européenne en droit interne ayant
pour finalité de conférer au justiciable une qualité à invoquer (76) etau juge national un titre à statuer, il va de soi que son effet directrestera purement théorique si la norme conventionnelle ne primepas la norme interne contraire. Or, la théorie orthodoxe de la supré-matie du législateur se révèle inconciliable avec les conséquencesréelles de l’incorporation (77). Dans ces conditions, quelle est la solu-tion retenue par le législateur britannique ?
La réponse du législateur est, malheureusement, trop imprécise.
Tout d’abord, la loi d’incorporation reste muette sur la question dela prééminence de la Convention, même si elle consacre son effetdirect en droit britannique. Ce mutisme est, en sus, doublé de zonesd’incertitudes quant à l’interprétation de la loi par le juge britanni-que. Ainsi, l’article 3, paragraphe 1er, dispose : « So far as it is pos-sible to do so, primary legislation and subordinate legislation must beread and given effect in a way which is compatible with the Conventionrights. »
(75) Sur la mise en œuvre des droits de l’homme, se reporter à : L’effectivité de la
protection des droits de l’homme 50 ans après la Déclaration universelle, Colloque orga-nisé par le Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2-4 septembre 1998.
(76) Voy. article 7 Human Rights Act, précité note 53. (77) Voy. S. Kentridge Q.C., « Parliamentary Supremacy and the Judiciary
under a Bill of Rights : Some Lessons from the Commonwealth », P.L., 1997, pp. 96-112.
La portée même de la phrase « So far as it is possible to do so »
reste, sans aucun doute, d’une clarté on ne peut plus obscure (78). La loi laisse, au fond, insoluble l’hypothèse d’une contrariété mani-feste entre une norme interne et une disposition de la Conventionà effet direct (79). Toutefois, les termes de l’article 4 semblent levercette ambiguïté en ce que la loi établit une distinction claire entre,d’une part, la déclaration d’incompatibilité et, d’autre part, ladéclaration d’invalidité ou de nullité.
Le législateur reconnaît, évidemment, au juge britannique le droit
de prononcer toute déclaration d’incompatibilité. Le paragraphe 2de l’article 4 précise, à cet effet, que : « If the Court is satisfied thatthe provision is incompatible with a Convention right, it may make adeclaration of that incompatibility (80). » La loi du 9 novembre 1998interdit ainsi aux tribunaux britanniques de déclarer invalide toutacte du Parlement. Autrement dit, le gouvernement rejette toutetentative de sanction d’un acte du législateur par une juridictionbritannique, quelle qu’elle soit (81).
La déclaration d’incompatibilité revient, au fond, à la reconnais-
sance d’une primauté virtuelle de la Convention par les juges bri-tanniques, c’est-à-dire que ces derniers se doivent de considérer quele législateur n’a pas eu l’intention de violer la Convention. Ce quiest en revanche curieux, c’est que de cette reconnaissance d’incom-patibilité, le juge ne peut tirer les conséquences qui s’imposent à lui,à savoir écarter l’application de la norme nationale contraire auprofit de telle ou telle disposition de la Convention invoquée par lejusticiable. Cette primauté, simplement déclaratoire, ne revêt alors
(78) Voy. G. Marshall, « Interpreting interpretation in the Human Rights Bill »,
Public Law, 1998, pp. 167-170. L. Betten, The Human Rights Act 1998 — What itmeans. The Incorporation of the European Convention on Human Rights into the LegalOrder of the United Kingdom, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague/London/Bos-ton, 1999, 336 pp.
(79) Sur cette question, voy. J. Velu, Les effets directs des instruments internatio-
naux en matière de droits de l’homme, Editions juridiques Swinnen, Bruxelles, 1981.
(80) Seules les juridictions suprêmes sont, cependant, autorisées à prononcer une
telle déclaration. Il s’agit de : the House of Lords, the Privy Council, the Courts-Mar-tial Appeal Court. En Angleterre et au Pays de Galles, ce pouvoir peut aussi êtreexercé par la Court of Appeal et la High Court tandis qu’en Ecosse, le même pouvoirest réservé à la High Court of Justiciary et la Court of Session. En revanche, l’obliga-tion d’interprétation conforme du droit national à la Convention s’impose à toutesles juridictions, de quelque degré que ce soit.
(81) Sur le contrôle juridictionnel des lois au Royaume-Uni, voy. Neil H. An-
drews, « L’Angleterre doit-elle adopter une Déclaration des droits assortie d’uncontrôle juridictionnel des lois ?», in Annuaire international de justice constitutionnelle(A.I.J.C.), vol. V, 1989, pp. 35-56.
aucun caractère contraignant pour les autorités nationales qui peu-vent, le cas échéant, édicter des règles violant, même de façon mani-feste, les dispositions de la Convention. Les termes de l’article 4,paragraphe 6 disposent, effectivement, que la déclaration d’incom-patibilité « does not affect the validity, continuing operation or enforce-ment of the provision in respect of which it is given ; and is not bindingon the parties to the proceedings in which it is made (82). » Cette clauseprescrit, de manière explicite, l’inapplication des dispositions de laConvention face à une norme étatique contraire, de quelque naturequ’elle soit (83).
En ce qui concerne les actes administratifs, par exemple, l’ar-
ticle 3, paragraphe 2 de la loi précise : « This section (Interpreta-tion of legislation) does not affect the validity, continuing operationor enforcement of any incompatible subordinate legislation if (disregar-ding any possibility of revocation) primary legislation prevents remo-val of the incompatibility. »
On s’aperçoit ici que le législateur peut, s’il le souhaite, empêcher
le retrait ou l’abrogation d’un acte administratif, aussi longtempsque sa base juridique (en l’occurrence la loi) ne fera l’objet d’aucunemodification la rendant compatible avec la Convention. La loiimpose, en fait, au juge britannique le principe de l’écran légis-latif (84).
Deux situations peuvent ainsi se présenter lorsqu’un acte adminis-
tratif est conforme à la loi, mais incompatible avec la Convention :
— la Convention va primer l’acte administratif si la loi, fondement
juridique de cet acte, est elle-même conforme à la Convention ouest susceptible d’être modifiée pour la rendre compatible à celle-ci ;
— en revanche, l’acte administratif primera la Convention si la loi
sur la base de laquelle il a été adopté ne peut être modifiée.
Il est, cependant, utile de souligner que l’article 3, paragraphe 2
de la loi n’instaure pas une immunité complète des actes adminis-
(82) C’est nous qui soulignons. (83) Les paragraphes 2 et 6 de l’article 4 de la loi d’incorporation ne s’appliquent
pas aux lois antérieures à cette loi.
(84) C’est ce qu’évoquent également Sir G. Lightman et J. Bowers, lorsqu’ils
écrivent : « Where it is impossible to reconcile domestic legislation with Conventionrights, the (Human Rights Act) maintains the principle of parliamentary sove-reignty. The courts are empowered to disapply secondary, but not primary legis-lation, and then only if the originating primary legislation does not make it impos-sible. » (« Incorporation of the ECHR and its Impact on Employment Law », in Euro-pean Human Rights law Review (E.H.R.L.R.), 1998, Issue 5, p. 563).
tratifs. C’est le cas lorsque la loi de base est une simple loi de com-pétence ou de procédure, ne contenant aucune disposition defond (85) ou que l’on est en présence d’un vice propre de l’acte admi-nistratif en cause. Dans ces deux derniers cas, la Convention euro-péenne primera l’Acte administratif contraire.
L’insertion de la Convention en droit interne doit avoir pour
conséquence essentielle de lier toutes les autorités institutionnelles,c’est-à-dire, aussi bien le législateur, le gouvernement que le juge. La loi paraît, par conséquent, incohérente dans la mesure où, eninterdisant au juge d’écarter l’application de la loi et des actes sub-séquents, elle autorise prima facie la violation potentielle de laConvention européenne et/ou de la jurisprudence de la Cour par lesautorités nationales.
La responsabilité de l’application effective des normes issues de
la Convention ne relève-t-elle pas, en dernier lieu, de la compétencedes autorités judiciaires ? Il est évident que la Convention euro-péenne ne pourra avoir d’existence juridique en droit britanniqueque si « les juges lui reconnaissent et refusent d’admettre la légalité deslois du Parlement qui (la) contredisent (86). » Malgré cela, onconstate curieusement que la loi d’incorporation prévoit explicite-ment la prévalence d’application de la loi et des actes administra-tifs, même contraires, sur une norme conventionnelle. La Conven-tion européenne des droits de l’homme jouit, de la sorte et dansl’état actuel du droit britannique, d’une simple valeur infra-légis-lative (87).
Le législateur a, toutefois, prévu la possibilité de lever cette
déclaration judiciaire d’incompatibilité. A cette fin, la loi instaureun mécanisme de délégation permanente du pouvoir législatif àl’exécutif. Ainsi l’article 10, paragraphe 2 énonce que, si des raisonssérieuses l’exigent, tout ministre concerné peut amender la loi aux
(85) En ce sens, la loi postérieure ne fait pas écran car elle n’a aucune portée
matérielle. On a donc affaire à une loi purement formelle.
(86) S. Dubourg-Lavroff, « Pour une constitutionnalisation des droits et libertés
en Grande-Bretagne ? », Revue française de droit constitutionnel (R.F.D.C.), 1993,p. 496.
(87) Contrairement à la théorie constitutionnelle britannique classique, la loi d’in-
corporation établit ici une hiérarchie évidente entre les différentes lois du Parlement. Or, les systèmes juridiques à conception dualiste accordent à la règle internationaleintégrée en droit interne la même valeur juridique que son instrument d’incorpora-tion. C’est le cas en Allemagne, en Finlande ou encore en Suède.
fins de la rendre compatible avec la Convention européenne (88). Dela même manière, en cas de contrariété entre une norme convention-nelle et un acte administratif, adopté sur le fondement d’une loi quielle-même est incompatible avec la Convention, l’article 10, para-graphe 3 de la loi d’incorporation précise que le ministre concernépeut modifier la loi en question afin de lever l’incompatibilité ainsiconstatée (89). Par cette disposition, le législateur britannique auto-rise sans ambage l’exécutif à empiéter sur les compétences légis-latives. Serait-ce là la fin de la sacro-sainte doctrine de la Sove-reignty of Parliament ? A l’inverse, ne pourrait-on pas voir danscette disposition un mécanisme de délégalisation des Actes du Parle-ment ? De toute façon, le choix du législateur de conférer le pouvoirde la remedial action à l’exécutif plutôt qu’au judiciaire laisse per-plexe. Le Parlement britannique n’aurait-il pas accepté les consé-quences de la jurisprudence Factortame ?
Cela étant, cette idée de remedial action est d’une originalité
extraordinaire. Cela démontre bien le pragmatisme britannique carce mécanisme permet non seulement d’éviter le vide juridique maisaussi de permettre aux dispositions de la Convention de bénéficierd’une application prioritaire devant les juridictions nationales. Mais, dans tous les cas, le contrôle de la conventionnalité des loiset des actes administratifs est effectué, en amont et en aval, parl’exécutif.
Nonobstant l’imprécision des dispositions législatives, parfois
contradictoires les unes des autres, la Convention européenne peut,dans certains cas, prévaloir sur la norme nationale contraire.
B. — Perspectives d’évolution de la primauté
Au-delà de l’ambivalence de la loi du 9 novembre 1998, la supré-
matie de la Convention européenne sur une norme britannique
(88) « If a Minister of the Crown considers that there are compelling reasons for
proceeding under this section, he may by order make such amendments to the legis-lation as he considers necessary to remove the incompatibility. » La section en causeest intitulée « Power to take remedial action. »
(89) « If, in the case of subordinate legislation, a Minister of the Crown considers(a) that it is necessary to amend the primary legislation under which the subordi-
nate legislation in question was made, in order to enable the incompatibility to beremoved, and
(b) that there are compelling reasons for proceeding under this section, he may
by order make such amendments to the primary legislation as he considers neces-sary. »
contraire reste toujours possible. Trois hypothèses sont à envisager :en l’absence d’une loi (1) ; face à une loi antérieure (2) et en cas d’in-terprétation conforme de la loi (3).
Le système juridique britannique est, a-t-on déjà précisé, un sys-
tème entièrement légal, c’est-à-dire exclusivement fondé sur la sou-veraineté absolue de la loi. Toutefois, le législateur n’intervient passystématiquement, si bien que certaines mesures peuvent être édic-tées en l’absence de loi. Il en va ainsi de certains actes administra-tifs et des décisions juridictionnelles (Common law) qui ne sont pasencore définitives (non stare decisis). Face à une telle hypothèse,toute disposition conventionnelle sera hiérarchiquement supérieureà la jurisprudence des tribunaux internes ainsi qu’à tout acte admi-nistratif, pris indépendamment de la loi.
Le législateur a aussi prévu un mécanisme de prévention d’incom-
patibilité des lois avec la Convention. En effet, la loi dispose que leministre responsable d’un projet de loi a l’obligation de se pronon-cer, avant la seconde lecture du projet, sur sa conformité à laConvention (90). Ce système permet de résoudre en amont touteéventualité de contrariété entre les dispositions légales et conven-tionnelles. De la même manière, la Convention européenne primeratoute loi antérieure contraire.
La question de la prééminence de la Convention sur une loi se
pose de façon déterminante lorsque elle est ou doit être confrontéeà une législation postérieure qui lui est contraire. Dans ce cas, l’ap-plication de la règle lex posterior s’impose de jure. En revanche, lors-que l’on a affaire à une loi antérieure incompatible avec une disposi-tion conventionnelle, la primauté de la Convention devrait s’avérerévidente. Mais pour que cette primauté soit effective, il faudrait queladite loi soit elle-même contraire à la loi d’incorporation de laConvention en droit interne britannique. En d’autres termes, leprincipe constitutionnel de l’omnipotence du Parlement (No Parlia-ment can bind its successors) signifie que la loi d’incorporation de la
(90) Article 19, § 1, a) de la loi : « A Minister of the Crown in charge of a Bill in
either House of Parliament must, before Second Reading of the Bill — make a state-ment to the effect that in his view the provisions of the Bill are compatible with theConvention rights (‘ a statement of compatibility ’) ».
Convention dans l’ordre juridique britannique, postérieure à la loidéclarée incompatible avec les prescriptions de la Convention euro-péenne, abroge automatiquement cette dernière et, par conséquent,la remplace.
Au fond, le caractère infra-législatif de la Convention n’apparaît
que lorsque celle-ci se voit opposer un acte administratif, adopté surune base juridique, en l’occurrence la loi, incompatible avec les pres-criptions conventionnelles et qui ne peut ou n’a pu être modifiée ouabrogée (91). Mais même dans ce cas, on peut remarquer que le légis-lateur a essayé d’anticiper cet obstacle, puisqu’il a prévu un sys-tème de légalisation permanente de la Convention. Cette techniqued’amendement de la loi par l’exécutif en vue de lever une incompa-tibilité judiciairement constatée entre la Convention et la loi per-met, d’une part, de consacrer la nature législative de la Conventioneuropéenne et, d’autre part, d’invalider l’acte administratif qui, dèslors, devient contraire à la loi ainsi modifiée et, donc, à la Conven-tion (92).
Dans tous les autres cas, la Convention européenne doit, du fait
de son adaptation à l’ordre juridique britannique, jouir d’un ranglégislatif (93).
Enfin, la suprématie de la Convention sur les normes nationales
peut s’opérer par le recours à la technique de l’interprétationconforme de la loi à la Convention.
L’article 3, paragraphe 1er de la loi d’incorporation dispose que la
loi doit être interprétée et appliquée de manière à être compatibleavec les droits protégés par la Convention européenne (94). Cette dis-position impose, en quelque sorte, au juge britannique de considérerla Convention européenne des droits de l’homme comme une lex spe-
(91) Voy. supra, pp. 32-36. (92) Voy. article 10, précité, p. 36. (93) Voy. J.A. Frowein, K. Oellers-Frahm, « L’application des traités dans
l’ordre juridique interne », in P.-M. Eisemann, The integration of International andEuropean Community Law(.), ibid., pp. 11-25 (Essentiellement, III. Place hiérarchi-que des traités dans l’ordre juridique interne : pp. 20-21) ; J. Dutheil de laRochère, « Les fondements européens et internationaux du droit public moderne etleur formation», in Revue européenne de droit public (R.E.D.P.), vol. 10, no 3, 1998,pp. 593-618, spéc. pp. 600-601.
(94) « (.), primary and subordinate legislation must be read and given effect in
a way which is compatible with the Convention rights. »
cialis. Ceci signifie que le juge britannique devra présumer laconventionnalité de la loi, c’est-à-dire la compatibilité de la loi à laConvention. Cette présomption de conventionnalité de la loi signifieégalement que la loi d’incorporation, même hiérarchiquement égaleà toute autre loi britannique, ne pourrait se voir opposer une loipostérieure contraire, à moins que le législateur ait intentionnelle-ment voulu violer les normes de la Convention. Cette dernière consi-dération n’est, toutefois, qu’une hypothèse d’école en ce que la loia pris le soin de prévoir la résolution d’une telle question en amont,c’est-à-dire, lors des débats parlementaires sur le projet de loi àadopter.
La présomption de compatibilité de la Convention à la loi est,
d’ailleurs, d’application constante dans certains autres Etats àconception dualiste, dans lesquels la Convention n’a en principequ’une simple valeur législative. En Allemagne, par exemple, l’arti-cle II, § 1 de la loi d’incorporation de la Convention dispose que :« Die Konvention (E.M.R.K.) wird nachstehend mit Gesetzeskraftveröffentlicht (95). » Mais en dépit de cette précision, la Cour constitu-tionnelle fédérale a toujours estimé que les traités internationaux engénéral, et la Convention européenne en particulier, doivent êtrepris en compte par le législateur et que les lois doivent être interpré-tées et appliquées en conformité avec les obligations internationales,même si elles ont été édictées postérieurement à un traité envigueur. Ainsi, dans sa décision du 26 mars 1987, elle déclara : « Beider Auslegung des Grungesetzes sind auch Inhalt und Entwicklungss-tand der Europäischen Menschenrechtskonvention in Betracht zu zie-hen, sofern dies nicht zu einer Einschränkung oder Minderung desGrundrechtsschutzes nach dem Grundgesetz führt, eine Wirkung, diedie Konvention indes selbst ausgeschlossen wissen will (96). »
Royaume-Uni. D’une manière générale, l’interprétation conciliatricese veut un devoir pour le juge national de considérer le droit natio-nal comme étant conforme au droit d’origine externe (97). Dans le
(95) Bundesgesetzblatt (BGBl.), 1952, Teil II, p. 685 : « La Convention (C.E.D.H.)
est ci-après publiée avec rang législatif. » (Traduction personnelle de l’auteur).
(96) BverfG, 74, 370 : « L’interprétation de la Loi fondamentale doit aussi tenir
compte du contenu et du dégré de développement de la Convention européenne desdroits de l’homme, à moins que cela ait pour effet de limiter ou de diminuer la pro-tection des droits fondamentaux établie par la Loi fondamentale, une conséquenceque la Convention elle-même a voulu exclure. » (Traduction personnelle de l’auteur).
(97) Pour une analyse plus approfondie, voy. le rapport danois par F. Harhoff,
« Denmark », in P.-M. Eisemann, op. cit., pp. 160-162, point 1.5.5.
cas qui nous intéresse, c’est donc la loi britannique qui doit fairel’objet d’interprétation conforme et non pas la Convention euro-péenne. Cette interprétation doit pouvoir se réaliser en combinaisonavec l’article 2 de la loi.
La doctrine traditionnelle de Dicey ne coïncide, de ce fait, plus
avec les réalités constitutionnelles actuelles. L’affaire Factortame enest une illustration parfaite. Dans son arrêt, la Chambre des Lords,qui est en même temps la plus haute juridiction britannique, sus-pend les effets d’une loi britannique postérieure au profit d’unenorme communautaire. Le passage le plus frappant est rédigé en cestermes : « (.). Thus, it is common ground that, (.), those rights willprevail over the restrictions imposed on registration of British fishingvessels by Part II of the Act of 1988 and the Divisional Court will, inthe final determination of the application for judicial review, be obligedto make appropiate declarations to give effect to those rights (98). »
L’interprétation de cet extrait montre que le droit britannique
doit se conformer aux impératifs du droit communautaire. La posi-tion ainsi adoptée par la Chambre des Lords n’est pas une simpletendance mais plutôt un raisonnement qui s’impose à toutes lesjuridictions britanniques inférieures (99). Au demeurant, dans lamesure où le droit européen des droits de l’homme a trouvé un véri-table ancrage en droit communautaire, le juge britannique, s’inspi-rant de l’arrêt Factortame de la Chambre des Lords, se trouveradans l’obligation de faire prévaloir toute disposition protégée de laConvention par rapport à une loi qui lui est contraire. En consé-quence, pour rendre effective l’incorporation de la Convention endroit britannique, la loi aurait dû prévoir une disposition expresserelative à la primauté de la Convention européenne sur toute norme
(98) House of Lords, Factortame Ltd v Secretary of State for Transport, [1989] 2
Voy. également les différents commentaires sur cette affaire, notamment :
N.P. Gravells, « Effective protection of Community law rights : temporary disappli-cation of an Act of Parliament », P.L., 1991, pp. 180-191 ; J. Hanna, « What has hap-pened to the Sovereignty of Parliament ? », The Law Quartely Review (L.Q.R.),vol. 107, January 1991, pp. 1-8 ; P. Kinder-Gest, « Primauté du droit communau-taire et droit anglais ou comment concilier l’inconciliable ? », Revue des affaires euro-péennes (R.A.E.), no 4, 1991, pp. 19-34 ; K.D. Magliveras, « Fishing in troubledwaters : the Merchant Shipping Act 1988 and the European Community », Internatio-nal and Comparative Law Quartely (I.C.L.Q.), 1990, pp. 899-914.
(99) A la différence des systèmes juridiques d’Europe continentale, le Common law
obéit au principe du précédent, selon lequel il n’existe pas de revirements de jurispru-dence et que les arrêts de la Chambre des Lords lient non seulement les juridictionsinférieures mais aussi elle-même.
nationale contraire. Ceci n’est pas une révolution, puisqu’une telledisposition se trouve, d’ores et déjà, présente dans l’Acte des Com-munautés européennes (100). Cette primauté de la Convention, demême que son effet direct en droit interne britannique, doit résulterde la nature même de la Convention et non des prescriptions consti-tutionnelles nationales. Finalement, on se rend compte que laconception dualiste se révèle un obstacle majeur à la mise en œuvreeffective des droits de l’homme dans l’ordre juridique interne. Lecas du Royaume-Uni n’est pas exclusif ; l’incorporation de laConvention en droit interne des autres Parties contractantes dua-listes a posé à peu près les mêmes difficultés constitutionnelles (101).
La loi d’incorporation de la Convention européenne en droit
interne britannique revêt, en dépit de ses imperfections, une portéepolitique notable (102). D’un point de vue strictement pratique, il estévident que l’intégration de la Convention européenne dans l’ordrejuridique britannique va bouleverser l’ensemble du système consti-tutionnel (103). Son impact va entraîner une modification de « l’équi-libre établi constitutionnellement entre le pouvoir législatif et le pouvoirjudiciaire (104). »
Finalement, le droit constitutionnel britannique ne cessera de sur-
prendre. Depuis l’appartenance du Royaume-Uni aux Commu-nautés et à l’Union européennes, il est en perpétuelle révolution en
(100) Voy. European Communities Act, article 2, § 4. (101) Voy. l’expérience des pays scandinaves ayant incorporé la Convention euro-
péenne dans leurs ordres juridiques nationaux, in M. Scheinin (edited by), Interna-tional Human Rights Norms in the Nordic and Baltic Countries, Nordic Human RightsPublications, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague, London, Boston, 1996, 310 p.
(102) John F. McEldowney, op. cit., p. 252 : « In the United Kingdom, the
impact of the ECHR is significant, as the debate about a Bill of Rights being intro-duced into domestic law usually considers the desirability of making the ECHR partof our domestic law in the United Kingdom. »
(103) Sir W. Wade concluait son article en ce sens : « The incorporation of the
Convention on Human Rights into our own law must certainly be regarded as oneof our great constitutional milestones. It makes a quantum leap into a new legalculture of fundamental rights and freedoms, something that Britain was once proudto be able to do without, but which has now become indispensable in the rapidlydeveloping European legal world into which we are more and more tightly drawn. »(Opinion : Human Rights and the Judiciary, E.H.R.L.R., 1998, Issue 5, p. 532) ; lireaussi la chronique constitutionnelle de R. Thomas, « Constitutional reform and theHuman Rights Act 1998 », in ERPL/REDP, vol. 11, no 3, automn/automne 1999.
(104) J.-F. Flauss, « L’incorporation de la Convention européenne dans le droit
suédois», in Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruylant, Bruxelles, L.G.D.J.,Paris, 1995, p. 141.
ce sens que l’on passe progressivement d’un système constitutionnelstatique à un droit constitutionnel véritablement dynamique.
Centre de recherche sur les droits de l’homme
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